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charme unique. Aussi n’y a-t-il qu’une voix dans l’antiquité pour célébrer la grandeur, la sainteté et les bienfaits d’Eleusis. Il est bon de rappeler ces témoignages que néglige la critique moderne parce qu’ils la dérangent dans son ornière. Ecoutons d’abord le vieux rhapsode dans l’hymne homérique à Déméter. Il parle de ces « orgies sacrées qu’il n’est permis ni de négliger, ni de sonder, ni de révéler, car le grand respect des Dieux réprime la voix, » et il ajoute : « Heureux qui est instruit de ces choses parmi les hommes terrestres ! Celui qui n’est point initié aux choses sacrées et qui n’y participe point, ne jouit jamais d’une semblable destinée, même mort, sous les ténèbres épaisses. » Le plus grand des lyriques grecs, Pindare, s’écrie : « Heureux ceux qui ont été initiés aux Mystères, ils connaissent l’origine et la fin de la vie. » Le voyageur Pausanias, qui a parcouru et décrit tous les sanctuaires, s’arrête respectueusement devant celui d’Eleusis. Il avait eu l’intention de le décrire. Malheureusement pour nous, il en fut empêché par un songe, mais sa conclusion est significative et vaut peut-être une description : « Autant, dit-il, les Dieux sont au-dessus des hommes, autant les Mystères d’Eleusis sont au-dessus de tous les autres cultes. »

Est-ce à dire que l’institution des Eumolpides fut sans danger pour les cités grecques et pour la civilisation hellénique ? Pareil à l’électricité positive qui développe l’électricité négative à son pôle opposé, tout centre mystique met en mouvement dans une certaine périphérie des forces hostiles qui refluent sur lui comme une marée montante. Les cultes orgiastiques populaires, qui périodiquement envahirent la Grèce, les associations de Corybantes et de Ménades en sont un exemple. Les Eumolpides le savaient bien et prévinrent le danger en redoublant la sévérité de leur discipline et en édictant, d’accord avec l’Aréopage d’Athènes, la peine de mort contre quiconque violerait le secret des Mystères. Le danger n’en existait pas moins, car des bribes mal comprises des doctrines et des représentations éleusiniennes transpiraient, en dépit de toutes les précautions, et circulaient dans le public sous d’étranges travestissemens. On comprend d’autant mieux la crainte des prêtres d’Apollon et des archontes d’Athènes devant ces profanations, qu’elles atteignaient la religion hellénique tout entière. Une grossière et fausse interprétation des doctrines secrètes menaçait la croyance aux Dieux et, avec elle, l’existence même de la