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sommeil et au réveil, afin de garder l’impression nette des rêves dont l’homme ordinaire ne se souvient que rarement. Le but de cette initiation était de faire du myste (de celui qui porte un voile) un épopte (c’est-à-dire un voyant) et de lui faire voir Dionysos. Mais Dionysos était un Dieu multiple, un Dieu fractionné dans l’humanité entière et qui se manifestait d’une façon diverse à chaque disciple. A Eleusis, on en connaissait trois, qui représentaient trois degrés de l’initiation. Le premier, accessible seulement à l’intelligence abstraite, était celui d’Orphée, le Dionysos-Zagreus, morcelé dans tous les êtres. On disait au myste débutant : « Sache que l’Esprit suprême, le Moi divin s’est sacrifié pour se manifester et s’est fragmenté dans les âmes innombrables. Il vit et il souffre, il respire et il aspire en toi comme dans les autres. Le vulgaire ne le connaît pas, mais il s’agit pour l’initié de reconstituer sa totalité en lui-même. Cela ne se fait pas en un jour. Regarde en toi-même jusqu’au fond, cherche-le et tu le trouveras. » Le myste se recueillait, méditait, regardait en lui-même, et ne trouvait rien. D’habitude il ne pouvait comprendre ce Dieu partout répandu, à la fois un et multiple, sublime et vil, puissant et misérable. C’était la première épreuve, la plus légère, mais déjà torturante, celle du doute de l’âme devant les contradictions insolubles de la raison non illuminée. L’hiérophante disait au myste déconcerté : « Apprends à comprendre la, nécessité de la contradiction qui est au fond de toute chose. Sans souffrance il n’y aurait pas de vie, sans lutte pas de progrès, sans contradiction pas de conscience. Dionysos resterait à jamais caché dans le sein de Zeus, et toi-même tu ne serais qu’une goutte d’eau dissoute dans une nébuleuse. Il fut un temps, il est vrai, le temps lointain de l’Atlantide, où l’homme primitif était encore si mêlé à la nature qu’il voyait les forces cachées dans les élémens, et conversait avec elles. Les Egyptiens ont appelé ce temps celui des Schésou-Hor, où les Dieux régnaient sur la terre. Alors Dionysos, quoique morcelé dans les hommes, était encore uni dans leur conscience. Car les hommes de cette époque étaient voyans et les Dieux. vivaient avec eux en formes éthériques, changeantes et de toute espèce. — Il y eut une autre époque beaucoup plus près de la nôtre, où l’esprit divin s’incarna dans ceux que nous appelons les Héros. Ils se nommaient Hercule, Jason, Cécrops, Cadmus, Thésée et beaucoup d’autres. Parmi ces hommes divins, qui