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qu’il n’en était rien. Bismarck, en face des nationaux-libéraux qui discutaient ses amitiés actuelles, et qui s’en étonnaient, jugea bon de s’expliquer. Il rappela, sans faux-fuyans, le grave conflit qui se prolongeait, « causé, disait-il, par une sorte d’incandescence momentanée de la rivalité, dix fois séculaire, entre l’Etat et l’Eglise. » Et Bismarck continuait :


J’ai combattu, dans cette lutte, avec la vivacité qui m’est et qui, tant que je vivrai, je l’espère, me sera propre en toutes choses où, d’après ma conscience, il s’agit du bien de ma patrie et des droits de mon Roi. Mais je ne considère jamais les conflits comme une institution qu’il faille perpétuer, et si des voies et moyens se présentent pour adoucir l’acreté des antagonismes sans toucher aux principes de la question même de rivalité, si l’on apprend à se connaître mutuellement et, par un travail commun en vue d’un but commun et élevé, à s’estimer mutuellement, alors je ne suis réellement pas en droit, comme ministre, de fermer cette voie qui s’ouvre, et de refuser d’abord d’y entrer.


Les nationaux-libéraux demeuraient inquiets ; alors Windthorst se leva, pour feindre de les rassurer. Ils demandaient si l’on avait fait ou promis au Centre certaines concessions religieuses. Mais non, protestait-il : « les idées que nous soutenons dans le Culturkampf sont si élevées au-dessus de tout ce qui est terrestre que nous ne les confondons pas avec ce qui est terrestre. » Et puis, descendant de ces hauteurs métaphysiques, il riait avec eux et à leurs dépens : « Si nous avions des promesses, il serait objectivement possible que nous fussions dupés. Comme nous ne les avons pas, nous ne pouvons même pas être dupes. D’ailleurs, qui veut me duper, doit se lever d’un peu bonne heure. » C’était un avertissement à Bismarck ; sur tous les bancs du Reichstag les rires fusaient. Redevenant plus grave, le merveilleux manœuvrier maintenait que dans le débat douanier le Centre n’avait envisagé que la question douanière ; il ajoutait cette phrase troublante : « Il ne s’ensuit pas que, même en d’autres domaines, la logique des faits ne se fasse pas sentir. » et de nouveau, les sourcils nationaux-libéraux se fronçaient. Le vote avait lieu : les conservateurs et le Centre donnaient à Bismarck, dans le Parlement de l’Empire, une belle majorité ; le parti qui avait le plus contribué à l’édification de l’Empire et au progrès de l’idée unitaire apparaissait à l’Allemagne entière comme le parti vaincu.