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l’autonomie des divers États pût être lésée. Une amusante illustration, au début de juin, montrait Windthorst marchandant un peu ses bonnes grâces ; on le voyait sur un rocher, serrant contre ses courtes jambes les pans de sa redingote ; et Bismarck éperdu tendait les mains pour s’y accrocher ; mais les pans ne flottaient pas, ne se livraient pas ; et Windthorst lui jetait ce mot : « D’autres s’y sont déjà accrochés ! » allusion maligne au terrible outrage que cinq ans plus tôt Bismarck avait fait à cette redingote en criant, en plein Reichstag, que l’assassin Kullmann y était suspendu. Les semaines s’écoulaient en manèges, durant lesquels Windthorst était ironiquement expectant, et Bismarck, au contraire, très remuant, et tout à la fois défiant du Centre et très empressé pour le séduire. Bennigsen, au nom de quelques nationaux-libéraux, s’essayait à trouver un compromis pour rentrer dans la majorité bismarckienne, moyennant quelques sacrifices aux nouvelles idées économiques du chancelier. Si la tentative eût réussi, l’Eglise, sans doute, eût encore payé les frais de l’entente. Mais la tentative échouait ; Bismarck, définitivement, traitait avec le Centre. Ce traité s’appela la « clausule Franckenstein : » il stipula que le produit de l’impôt du tabac et des droits de douane serait reversé chaque année par l’Empire aux divers Etats pour tout ce qui dépasserait 130 millions de marks ; l’Empire, pour la première fois depuis neuf ans, faisait à l’esprit fédéraliste une concession notable ; et pour la première fois aussi, ainsi que Bismarck l’écrivait à Louis II de Bavière, le Centre prenait une part notable à la législation de l’Empire. Un jour, pendant une séance du Reichstag, le député Lucius, qui dessinait fort bien, eut la fantaisie d’illustrer sur un morceau de papier les nouveautés politiques dont il était le témoin : il crayonnait un rocher, et, sous le rocher, creusait un gouffre. Pierre Reichensperger, lançant dans le vide une brochure libre-échangiste qu’autrefois il avait commise, se disposait à tenter le saut ; Windthorst, lui, ayant pris son élan, planait déjà par-dessus l’abîme des droits protecteurs, tenant comme parachute « la clausule Franckenstein. »

Mais ce gouffre où se jetait le Centre, était-ce vraiment le vide ? Parmi les débats économiques où s’attardait ainsi le Reichstag, la pensée du Culturkampf demeurait-elle complètement absente de l’esprit du chancelier, et s’effaçait-elle, même, dans les préoccupations du Centre ? La séance du 9 juillet prouva