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A Armand du Mesnil.


Saint-Maurice, près La Rochelle, ce vendredi (septembre 1815).

Cher ami,

Depuis le jour où je l’écrivais, j’ai travaillé et beaucoup écrit. Je ne sais pas trop ce que cela vaut. Il y a des jours où je suis content, il y en a d’autres, comme aujourd’hui, où je trouve tout cela bien médiocre. J’ai été, comme tu me conseillais de le faire, devant moi et un peu de droite à gauche. J’ai environ cent soixante-quinze ou cent quatre-vingts pages écrites. Il faudra que le volume soit très gros pour que je puisse y tailler un volume moyen. Note qu’à part Rembrandt, qui est fait (sauf grande révision), et Rubens, où je suis, je n’ai pas encore dit un mot des choses que je sais le mieux et de celles qui probablement seront les meilleures parties du livre, si je les réussis ; de sorte que je ne peux prévoir jusqu’où tout cela va m’entraîner.

A ne considérer ce premier jet que comme une ébauche, il y aura du moins dans cette ébauche des parties très avancées. Si tu étais là, en une demi-heure de lecture je saurais à quoi m’en tenir sur la qualité du ton, sur la manière de dire les choses, et sur la valeur des idées principales. Jusqu’à ce que tu y aies mis le nez, je travaillerai un peu en aveugle.

Je me suis interrompu la semaine dernière et je viens de consacrer ces huit jours à la peinture. Demain je vais reprendre la plume, mais le fil est rompu, et je sens que j’aurai encore de la peine à m’y remettre.


Parmi les amis de jeunesse d’Eugène Fromentin, il en est un qu’il avait perdu de vue dès avant sa maturité, Léon Mouliade. Ce jeune Vendéen, l’Olivier d’Orsel de Dominique, avait exercé une influence passagère, mais appréciable, sur la formation de Fromentin dans les dernières années de collège et un peu après. Il avait, depuis cette époque, lente de faire sa carrière dans une grande administration, et Fromentin l’avait perdu de vue.

Or le hasard remet un jour en présence ces deux vieux camarades.