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intérieures, de ses aptitudes opératoires, qui en perçoit la marche et le travail ainsi quelle-même le ferait si elle était consciente, pour qui elle est devenue comme un prolongement de son propre corps, comme un nouvel organe sensori-moteur, comme un groupe de gestes montés d’avance en habitudes automatiques ? La première connaissance est plus utile au constructeur, et je ne veux pas prétendre qu’on doive jamais la négliger ; mais la seconde seule est absolument vraie. Et ce que je viens de dire ne concerne pas les seules choses de la matière : qui connaît absolument la religion, de celui qui du dehors l’analyse en psychologie, en sociologie, en histoire, en métaphysique, ou de celui qui du dedans, par une expérience vécue, participe à son essence et communie à sa durée ?

Mais l’extériorité de la connaissance que procure l’analyse par concepts n’est que son moindre défaut. Elle en a de plus fâcheux encore. Si en effet les concepts n’expriment que ce qui est commun, général, non spécifique, d’où éprouverait-on le besoin de les refondre lorsqu’on les applique à un objet nouveau ? Leur raison d’être, leur utilité, leur intérêt, n’est-ce pas justement de nous épargner ce travail ? On les considère donc comme élaborés une fois pour toutes. Ce sont des matériaux de construction, des pierres taillées d’avance, et qu’il n’y a plus qu’à assembler. Ce sont des atomes, des élémens simples, un mathématicien dirait des facteurs premiers, capables de former des associations à l’infini, mais sans se modifier intérieurement par le fait de leur rencontre. Ils entrent en conjugaison comme s’ils s’accrochaient par le dehors ; ils sortent des agrégats tels qu’ils y étaient entrés. Juxtaposition, arrangement : ces opérations géométriques figurent alors l’œuvre de connaissance ; ou bien l’on a recours aux métaphores de je ne sais quelle chimie mentale : combinaison, dosage. Dans tous les cas, la méthode reste la même : alignement et mélange de concepts préexistans. Or le seul fait de procéder ainsi équivaut à ériger le concept en symbole d’une classe abstraite. Après quoi, expliquer une chose n’est plus que la montrer à l’intersection de plusieurs classes, participant de chacune d’elles en proportions définies : ce qui revient à la tenir pour suffisamment exprimée par une liste de cadres généraux où elle entre. Par principe, donc, l’inconnu est ramené d’office au déjà connu : et, dès lors, il devient impossible de jamais saisir aucune vraie