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avant d’en venir là, une question préalable s’impose à notre examen. Dès l’avant-propos de son Essai initial, M. Bergson dégageait le principe d’une méthode qui devait ensuite se retrouver toujours la même au cours de ses différens travaux. Cette méthode, il la formulait en des termes qu’il faut rappeler :

« Nous nous exprimons nécessairement par des mots, et nous pensons le plus souvent dans l’espace. En d’autres termes, le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité qu’entre les objets matériels. Cette assimilation est utile dans la vie pratique, et nécessaire dans la plupart des sciences. Mais on pourrait se demander si les difficultés insurmontables que certains problèmes philosophiques soulèvent ne viendraient pas de ce que l’on s’obstine à juxtaposer dans l’espace les phénomènes qui n’occupent point d’espace, et si, en faisant abstraction des grossières images, autour desquelles le combat se livre, on n’y mettrait pas parfois un terme. »

Ainsi, dès le point de départ, est affirmé le devoir, pour le philosophe, de renoncer aux formes usuelles de la pensée analytique et discursive, d’accomplir un effort d’intuition directe qui le mette sans intermédiaire au contact même du réel. C’est assurément cette question de méthode qui doit être envisagée la première. Question capitale si M. Bergson présente lui-même ses ouvrages comme des « essais » qui ne visent pas « à résoudre d’un coup les plus grands problèmes, » mais qui veulent simplement « définir la méthode et faire entrevoir, sur quelques points essentiels, la possibilité de l’appliquer. » Question délicate aussi, car elle commande toutes les autres, décisive d’ailleurs pour la pleine compréhension du reste, et qui nous retiendra tout d’abord un moment. Nous aurons, pour nous diriger dans cette étude préliminaire, une admirable Introduction à la Métaphysique parue en article dans la Revue de Métaphysique et de Morale (janvier 1903) : court mémoire merveilleusement suggestif, qui constitue la meilleure préface à la lecture des livres eux-mêmes et dont, pour le dire en passant, il serait bien à désirer que M. Bergson le recueillît en volume, avec quelques autres aujourd’hui presque introuvables.