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en percevoir le principe d’unité organique, en saisir le ressort moteur. Faisons de notre lecture un thème de méditation vécue. Le seul juste hommage qu’on puisse rendre aux maîtres de la pensée consiste à penser soi-même, autant qu’on en est capable, à leur suite et sous leur inspiration, dans les voies qu’ils ont inaugurées.

Cette route, en l’espèce, quelques livres la jalonnent, qu’il nous suffira de feuilleter l’un après l’autre, de prendre successivement pour texte de nos réflexions. En 1889, M. Bergson débutait par un Essai sur les données immédiates de la conscience, qui était sa thèse de doctorat : il s’y installait à l’intérieur de la personne humaine, au plus intime de l’esprit, pour s’efforcer d’en ressaisir, dans leur fuyante originalité communément méconnue, la vie profonde et l’action libre. Quelques années plus tard, en 1896, se transportant cette fois à la périphérie de la conscience, à la surface de contact entre le moi et les choses, il publiait Matière et Mémoire : étude magistrale de la perception et du souvenir, qu’il présentait lui-même comme une enquête sur la relation du corps à l’esprit. Puis ce fut, en 1907, l’Evolution créatrice, où la métaphysique nouvelle se dessinait dans toute son ampleur, se déployait dans toute sa richesse, avec des perspectives ouvertes sur d’infinis lointains : évolution universelle, signification de la vie, nature de l’esprit et de la matière, de l’intelligence et de l’instinct, tels étaient alors les grands problèmes traités, aboutissant à une critique générale de la connaissance et à une définition tout originale de la philosophie.

Voilà quels seront nos guides, qu’il faudra nous attacher à suivre pas à pas. Ce n’est point, je l’avoue, sans un certain effroi que j’entreprends la tâche de résumer tant de recherches, de condenser en quelques pages tant de conclusions, et de si neuves. M. Bergson, dans le moindre objet, excelle à donner le sentiment de profondeurs inconnues, de dessous infinis. Jamais nul n’a mieux su remplir le premier office du philosophe, qui est de faire apparaître en toute chose le mystère latent. De la réalité la plus familière, depuis toujours offerte à nos regards, nous voyons tout d’un coup avec lui l’épaisseur concrète, l’inépuisable prolongement, et que nous n’en connaissions que la pellicule superficielle. Et ne croyez point que ce soit simple prestige de poète. Que le philosophe parle une langue d’une