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frère de renoncer, du moins, « à la critiquer en public[1]. »

Louis XVI n’est pas exempt non plus des remontrances de son beau-frère, mais il les prend avec une douceur désarmante. « Le Roi, dit Marie-Antoinette, le regarde avec amitié et, comme il est très timide et peu parlant, il 1 écoute volontiers sans mot dire ; quand notre frère lui donne de ses coups de critique, il se borne à sourire et se tait. » Si l’on en croit Mercy, Louis XVI, en plusieurs circonstances, aurait provoqué de lui-même les observations de Joseph, lui confiant avec bonhomie les choses les plus intimes, l’entretenant notamment de ses rapports avec la Reine, de sa réserve conjugale, expansif jusqu’au point de gêner son beau-frère, qui ne se retient pourtant pas de lui donner quelques conseils pratiques. On assure que l’Empereur, après ces confidences, eut avec le médecin Lassonne un entretien secret, peu de jours avant son départ, et que ce qu’il lui dit eut une grande influence sur la conduite ultérieure de Louis XVI. Joseph exhorte aussi le Roi à se montrer davantage au public, à sortir du cercle fermé où il se confine d’ordinaire, à observer choses et gens par ses yeux et à tenir parfois « des cercles de conversation, » car rien n’instruit un homme, affirme-t-il, « comme la causerie, le débat des idées. »

Véri, dans son Journal, rapporte un entretien où Joseph s’est vanté à lui d’avoir donné ces excellens conseils : « J’ai dit au Roi, raconte l’Empereur, qu’il ferait bien, les après-dînées, d’aller, en petit cercle, causer chez M. de Maurepas. Il n’y dira rien d’abord, mais, à la fin, il fera comme tout le monde. — Personne en effet, acquiesce l’abbé Véri, ne serait plus propre à remplir cette vue que M. de Maurepas, car c’est précisément dans la conversation qu’il a le plus de lumières. Il discute bien, il voit à merveille, et si l’action y répondait !… »

Il semble bien, d’ailleurs, que, sur la plupart des sujets abordés dans leurs entrevues, les deux souverains soient tombés à peu près d’accord. Telle est leur bonne entente, au moment du départ, qu’ils conviennent, une fois séparés, de ne pas rompre leur commerce et d’entretenir ensemble une correspondance régulière.

Il en est tout différemment avec les princes du sang, surtout

  1. Mémoires de Mme Campan. — Correspondance secrète publiée par M. de Lescure, etc., etc.