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sur les rives de la Seine. D’autres ont fait ce récit avant moi, et je ne puis mieux faire que d’y renvoyer le lecteur[1]. Je ne veux rapporter ici que ce qui touche aux grandes affaires, ainsi qu’aux principaux personnages de la Cour. Au point de vue de la politique générale, et particulièrement de la politique extérieure, Joseph tient fort scrupuleusement les promesses faites à Mercy-Argenteau. Il ne s’y aventure qu’avec une grande circonspection, par allusions voilées, et, somme toute, il témoigne de plus de réserve et de tact que l’on ne pouvait en attendre. Trois fois il se rend chez Necker, sans le trouver chez lui, ne s’étant pas fait annoncer à l’avance, et, quand il le rencontre enfin, la conversation ne roule guère que sur des choses banales, ce qui ne l’empoche pas, dit-il, de « remporter l’idée la plus avantageuse de l’esprit » du nouveau directeur des Finances, idée « bien conforme, ajoute-t-il, à celle de son caractère, au sujet duquel il n’y a qu’une voix[2]. » C’est de la même manière qu’il cause avec Maurepas, auquel il promet néanmoins « sa protection » auprès de Marie-Antoinette[3], mais sans sortir des généralités, sans s’ingérer dans la politique intérieure, sans souffler mot des intrigues et cabales de la Cour.

Les amis de Choiseul s’étaient flattés de l’espérance que l’Empereur parlerait du duc et chercherait à dissiper les préventions et les défiances du Roi. Une des inquiétudes de Louis XVI était même de voir son beau-frère aborder avec lui ce sujet délicat. Joseph, tout au rebours de ce qu’on supposait, se montra très peu favorable au retour de l’ancien ministre et il félicita le Roi d’avoir tenu bon sur ce point, attitude imprévue qui causa le plus vif dépit à Marie-Antoinette. Bien mieux

  1. On peut consulter notamment, dans l’ouvrage de M. de Routry, Autour de Marie-Antoinette, le chapitre sur le Voyage de Joseph II en France, p. 289-301. — Un des correspondans du prince Xavier de Saxe, le sieur Pommiès, ajoute les détails suivans sur l’un des incidens qui firent le plus de bruit à Versailles : « L’Empereur a été au pavillon de Louveciennes et a causé un quart d’heure avec Mme du Barry, qui était sortie dans ses jardins pour lui laisser la liberté de voir plus à son aise le pavillon. L’Empereur ayant demandé si la maîtresse de la maison était absente, on lui a dit qu’elle était dans le jardin. Alors il a été la chercher, lui a donné le bras jusqu’au pavillon, et ils ont causé d’une manière fort agréable. L’Empereur en a été charmé. » Lettre du 22 mai 1777. — Archives de Troyes.
  2. Lettre de Joseph II à Mercy, du 4 mars 1780. — Correspondance publiée par Flammermont.
  3. Lettre de Mercy à Marie-Thérèse, du 15 janvier 1777. — Correspondance publiée par d’Arneth.