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là-dessus en secret le Roi et ses ministres, afin que tout le monde ait l’esprit en repos[1]. »


On négocie parallèlement sur tous les détails du séjour. L’empereur tient avant tout à conserver l’incognito dans la mesure possible. Il ne sera pas Joseph II, mais le comte de Falkenstein, du nom d’un fief de sa maison situé aux frontières de Lorraine, et il sera traité comme tel du jour de l’arrivée jusqu’au jour du départ. « Il est essentiel, écrit-il[2], que je puisse voir les choses dans leur état naturel et qu’on me traite en comte de Falkenstein, tant à la Cour qu’en ville et dans les provinces ; tout le fruit de mon voyage et tout l’agrément en dépendent. »

Ce désir d’être pris pour un simple particulier, il le poussera, au cours de son voyage, jusqu’à la mystification. Dans une auberge où il couchera, la servante « qui lui tient le plat, dans le temps qu’il se rase, » lui demandant s’il n’a point, par hasard, quelque emploi auprès de l’Empereur : « Oui, répondra-t-il gravement, c’est moi qui lui fais la barbe. » Ailleurs, son cuisinier, avec son agrément, se fera passer pour l’Empereur, recevra les harangues du maire et du curé, leur donnera sa main à baiser[3].

Un point qui le préoccupe fort, — et le seul qui soulève quelques difficultés, — est la question du logement à Versailles. « Je suis très décidé, mande-t-il à Mercy-Argenteau, de n’accepter de logement ni au château, ni au Petit-Trianon, ni dans aucun endroit appartenant à la Cour ou aux princes. Il me faut y être logé pour mon argent, et je préférerais retourner plutôt tous les soirs à Paris que de renverser, pour une seule nuit que j’accepterais de loger à la Cour, tout l’édifice de mon incognito[4]. » Après d’assez longs pourparlers, des observations inutiles, il en faut bien passer par là, en dépit du petit scandale que cause cette fantaisie et des craintes qu’on éprouve sur les « gloses » du public. « Il me sera dur de ne pouvoir le loger auprès de moi, déclare[5]. Marie-Antoinette à sa mère.

  1. Lettre du 3 janvier 1777. — Correspondance publiée par Flammermont.
  2. Lettre à Mercy du 30 novembre 1776. — Ibidem.
  3. Journal du duc de Croy. — Autour de Marie-Antoinette, par M. de Routry.
  4. Lettre du 31 décembre 1776. — Correspondance publiée par Flammermont.
  5. Lettre du 16 janvier 1777. — Correspondance publiée par d’Arneth.