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éprouve et de se faire, par ses faiblesses, pardonner ses froideurs.

De toutes ces circonstances, inégalement fâcheuses, résulte pour Louis XVI un isolement complet, le plus cruel de tous, qui est l’isolement dans la foule. Sans parens, sans amis, sans maîtresse, sans femme légitime, peut-être aucun souverain ne connut à un tel degré l’amère souffrance de l’abandon. Un seul homme le console de cette détresse morale, par l’attachement passionné qu’il étale, le dévouement dont il proteste, le cas qu’il semble faire des capacités du jeune prince, c’est son vieux conseiller, c’est le comte de Maurepas. Aussi, entre l’habile Mentor et son royal élève, l’intimité croît-elle dans une progression continue. Il n’est guère de jour, à présent, où le prince n’admette le vieillard « dans son particulier, » ne s’entretienne confidentiellement avec lui. Maurepas a-t-il la goutte, Louis XVI gravit le petit escalier tournant qui, de l’appartement du Roi, monte à la chambre du malade, s’assied au pied du lit pendant des heures entières. Il a des attentions touchantes. Une fois, sans rien lui dire, il fait faire « son portrait en buste, » le place lui-même, en grand mystère, dans l’appartement du Mentor, se cache derrière un paravent pour jouir incognito de sa première surprise. L’effet dépasse ses espérances : effusions de Maurepas, exclamations de joie, émotion allant jusqu’aux larmes et grand attendrissement du Roi, qui dit le soir, en racontant la scène : « Je savais bien que M. de Maurepas m’était attaché, mais je n’aurais pas cru qu’il le fût au point dont j’ai été témoin aujourd’hui[1] ! » Les mauvaises langues prétendirent, il est vrai, que Mme de Maurepas, ayant surpris les intentions du Roi, avait averti son époux et dicté ses ardens transports.


II

Telles semblent être, à l’heure présente, les dispositions intérieures des principaux personnages de la Cour. Si, sous certains rapports, elles laissent à désirer, que dire de ce qui paraît au dehors, de ce qui s’en révèle aux regards du public ? Ici, quelque désir qu’on ait de faire preuve d’indulgence, la justice exige cependant qu’on mette la Reine en cause. Les excuses

  1. Journal de Hardy, 17 août 1777.