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médisances et, au besoin, les calomnies, qui se répandent dans le public et noircissent la réputation de la Reine et du Roi. Elles n’apparaissent que de loin en loin à la Cour, pour critiquer, blâmer, semer la zizanie dans le ménage royal[1].


Quels sont, après sept années de mariage et trois années de règne, les rapports établis entre Louis XVI et Marie-Antoinette ? La question est complexe et oblige à toucher certains points délicats, qui sont importans pour l’histoire. Un fait est avéré, c’est que Louis XVI, à cette époque, n’est pas encore, à proprement parler, le mari de la Reine, et que « l’état matrimonial, » pour employer le terme en usage dans les chancelleries, se borne entre les deux conjoints à des relations fraternelles. Les preuves abondent, et la correspondance de Marie-Antoinette avec Marie-Thérèse est pleine, sur ce sujet, de confidences fort claires, où percent son juste dépit et son regret de la maternité trop longtemps attendue. La cause réelle de cette situation bizarre est, quoi qu’on en ait dit, plus morale que physique. Louis XVI, selon la pittoresque expression de Sainte-Beuve, est, non pas « muet, » mais plutôt « bègue. » Une timidité invincible, la crainte du ridicule, une sorte de frayeur inavouée de sa femme, l’arrêtent au seuil de l’alcôve conjugale et lui font remettre sans cesse l’heure qu’il désire et redoute à la fois. Comme il arrive en pareille occurrence, la difficulté de l’action s’accroît avec la longueur du délai. Parmi ces tergiversations, mariée en 1770, reine en 1774, Marie-Antoinette n’est encore, en 1777, qu’une jeune fille couronnée.

Ceci explique sans doute et excuse bien des choses, que l’on reproche à l’épouse ainsi négligée : sa froideur un peu dédaigneuse envers ce singulier mari, l’indifférence maussade dont elle fait volontiers parade, l’affectation qu’elle met à se faire une vie séparée, à établir hautement qu’elle ne se plaît qu’avec « sa société » et que seuls « ses amis » comptent dans son existence. Et l’on conçoit aussi la gêne secrète, l’embarras mal dissimulé, dont Louis XVI ne peut se défendre en présence de sa femme, sa condescendance excessive, ses capitulations constantes devant ses plus audacieuses fantaisies, comme s’il éprouvait le besoin de désarmer l’irritation humiliée qu’elle

  1. Voyez les lettres de Mercy-Argenteau à Marie-Thérèse, et notamment celle du 17 novembre 1778. — Correspondance publiée par d’Arneth.