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interrompues pendant les vacances pour n’être reprises que le 9 janvier, jour de la rentrée. Ce jour-là tout le monde a remarqué que M. de Selves est venu à la Commission avec un portefeuille allégé, dégonflé. Le gouvernement semblait vouloir être aussi circonspect qu’il avait été d’abord abondant et prolixe. Nous avons dit quelle scène étrange a interrompu la séance de la Commission : à peine avait-il ouvert son portefeuille que M. de Selves l’a refermé et est parti.

Et le traité ? C’est la seule chose que la Commission n’ait pas encore directement abordée et c’est pourtant la seule sur laquelle elle ait à se prononcer. On a fait par avance au traité une si mauvaise réputation que tout le monde le renie et que chacun, comme nous l’avons déjà dit, s’efforce d’en attribuer la responsabilité à son prédécesseur qui l’a préparé, ou à son successeur qui l’a signé. Pendant plusieurs jours on s’est demandé, et on continue de le faire encore, de quel côté est venu, de quelles lèvres est tombé pour la première fois le mot de compensation à donner à l’Allemagne et l’indication du Congo où elle pouvait être trouvée. Si c’est un ministre allemand qui en a parlé le premier, il n’y a rien à dire, mais si c’est un ministre français, quel qu’il soit, ce ministre est un grand criminel ! Il y a quelque pharisaïsme dans tout cela. Si on voulait ne pas donner de compensation à l’Allemagne, il ne fallait pas commencer par en donner à d’autres ; et si on ne voulait pas en donner à d’autres, il ne fallait pas ouvrir la question du Maroc avec l’intention secrète de la dénouer par l’établissement de notre protectorat. Nos lecteurs savent combien nous aurions préféré qu’on s’en abstint. Au surplus, à quoi bon revenir sur le passé ? Les faits nous pressent, et nous devons parler aujourd’hui, non pas de ce qu’ils auraient pu être, mais de ce qu’ils sont.

L’imagination publique est volontiers hantée de l’idée qu’avec un peu plus d’habileté ou de fermeté, nous aurions pu faire ce que nous avons fait au Maroc sans rencontrer l’Allemagne sur notre route et sans contracter un ou plusieurs accords avec elle : elle se trompe, ces accords étaient inévitables. Nous en avons conclu un premier en 1909 : on pouvait s’en contenter, au moins pour un temps. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Les ministres qui ont signé cet arrangement l’opposent au traité du 4 novembre dernier : il ne contenait, font-ils remarquer, aucune cession territoriale et il nous faisait faire cependant un pas important au Maroc. Soit, mais ce traité est resté lettre morte entre leurs mains ; ils n’en ont tiré aucun parti, ils n’ont pas su le mettre en œuvre et la situation s’est