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la responsabilité pleine et entière et nous convenons volontiers qu’elle n’appartient à personne : en conséquence on se la rejette de ministre à ministre, de gouvernement à gouvernement. On a même tenté, par momens, de s’en libérer tout à fait en la faisant retomber sur notre ambassadeur à Berlin qui aurait dépassé ses instructions et pris sur lui bien des choses dont il a fallu tenir compte après coup. A dire vrai, tout cela n’est pas très édifiant. En ce qui concerne notre ambassadeur, il a bien fallu le mettre rapidement hors de cause pour le meilleur des motifs, à savoir que M. Jules Cambon est très connu, qu’il a derrière lui toute une vie qui est une garantie de correction et de prudence, enfin que personne n’a cru que dans une circonstance aussi grave, sentant peser sur lui une responsabilité aussi lourde, il ne s’était pas intelligemment mais strictement conformé aux directions qu’il avait reçues de Paris. S’il y a eu à côté de lui, et il faut bien le croire après la déclaration qu’en a faite M. de Selves, d’autres négociateurs qui ont opéré d’une autre manière, en vertu d’autres instructions, et si ce double jeu n’a pas été sans inconvéniens, ce n’est pas à M. Jules Cambon qu’en revient la faute. Sa situation personnelle a paru si inattaquable qu’on a vu un ministre se couvrir de lui auprès de la Commission, alors qu’il aurait été plus naturel que le ministre le couvrît lui-même : mais nous sommes habitués à ces rôles renversés.

Un autre inconvénient de ces Commissions de grand luxe, comme celle du Sénat, est qu’elles ont des exigences. Quoi de plus naturel de leur part ? Ayant dans leur sein les ministres qui ont commencé une affaire, puis ceux qui l’ont continuée, enfin ceux qui l’ont achevée, à supposer que rien s’achève en ce monde, elles possèdent, en mettant ces ministres bout à bout, à peu près tout le secret des choses, et dès lors il est difficile de ne pas leur en confier le reste. Elles le demandent d’ailleurs et sur un mode si pressant que des ministres sans grande défense lui apportent leurs dossiers et les dépouillent pièce à pièce devant elle, comme on peut faire entre gens du même métier. En l’absence d’un Livre Jaune, — et c’est une absence qu’on ne saurait trop regretter, — M. Léon Bourgeois a proposé d’en faire un qui serait un « Livre Jaune parlé, » et on a dit à M. de Selves : Parlez-nous donc un Livre Jaune. M. de Selves a parlé d’abondance et les membres de la Commission ont été quelquefois un peu effarés de ce qu’il leur confiait. Ils n’en diront rien, car ils sentent l’importance du secret à garder sur certaines choses ; mais il aurait été plus prudent de ne leur dire ; que ce qu’ils pourraient