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dessins du maître bâlois. Ne la voyons-nous pas, à son tour, ébaucher un sourire, — de vanité triomphante ou de convoitise satisfaite ? — dans un tableau de Carlsruhe, daté de 1522, et où l’impudente créature, sous prétexte de représenter une Sainte Ursule, tient dans ses mains une demi-douzaine de flèches, dont elle va dorénavant, d’année en année, transpercer le pauvre cœur de la femme du peintre ? Je sais peu de choses plus déplaisantes que cet essai avorté d’un sourire, sur la bouche méchante du modèle de la Sainte Ursule ; mieux vaut encore, décidément, pour mettre en valeur le visage élégant et banal de la courtisane, l’impassibilité dédaigneuse de la Vierge du bourgmestre Meyer, dans le tableau de Darmstadt, — ou dans sa fameuse copie de Dresde — malgré tout ce qu’a de choquant, en un tel sujet, un manque aussi complet de toute humanité. Après quoi il ne me reste plus qu’à rappeler, en contraste avec le terrible portrait d’Elisabeth Holbein, telle qu’elle est devenue aux environs de 1529, les deux portraits susdits de 1526, où s’affirme cyniquement la victoire de la maîtresse sur l’épouse légitime. Laïs Corinthiaca, lisons-nous en grosses lettres au bas de l’un des portraits, sous la main tendue vers notre argent ; et plus angoissante encore est l’autre image de Madeleine d’Offenbourg, s’il est vrai, comme je l’ai toujours supposé, que le gros enfant hydropique et difforme qui, dans la Vénus, joue le rôle de l’Amour auprès de cette femme stérile ait eu pour modèle l’enfant aîné de la femme d’Holbein, tel que nous le montrera, trois ans plus tard, le tableau familial du musée du Bâle. Avoir fait poser le fils qui lui est né d’elle en compagnie de l’odieuse rivale qui l’a dépouillée de sa beauté et de son bonheur, et de toute sa fortune par-dessus le marché, qui a réduit l’exquise jeune femme dû portrait de la Haye à devenir le fantôme navrant du portrait de Bâle : voilà peut-être le grief qui aura pesé le plus cruellement sur le cœur ulcéré d’Elisabeth Holbein ! Et qui sait si ce remords-là ne s’est point dressé au premier plan dans l’âme du peintre lui-même, lorsqu’en 1529 celui-ci a éprouvé le besoin de nous crier sa confession de mari et de père, en même temps qu’il allait nous révéler la puissante, l’émouvante grandeur de son génie d’artiste ?


T. DE WYZEWA.