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tapageuse ; et l’expression de son visage nous laisse deviner combien elle aimerait s’orner réellement, ailleurs que sur le papier, de ces pesantes jupes de brocart dont elle relève orgueilleusement les rebords, tandis qu’une abondante garniture de plumes lui entoure la tête d’une auréole infiniment plus à son goût que la simple rondelle mystique des dessins précédens. Dans l’œuvre peinte du maître, il est vrai, nous n’apercevons aucune trace de la figure de la jeune femme, durant les années qui ont précédé le mariage d’Holbein. Deux fois seulement, pendant cette période, celui-ci a l’occasion de représenter des figures féminines (une petite Vierge et l’Eve à la pomme, toutes deux au musée de Bâle) : et le modèle dont il reproduit les traits est alors une petite Allemande au visage gras et rond, sans la moindre ressemblance avec ces deux figures d’Elisabeth Holbein et de Madeleine d’Offenbourg qui vont bientôt se disputer, si je puis dire, le privilège d’incarner la pieuse ou païenne fantaisie du peintre. N’importe : il suffit des dessins que j’ai cités pour nous prouver presque sûrement qu’Holbein connaissait et fréquentait la courtisane bâloise dès avant son mariage avec Elisabeth Schmid : heureux de pouvoir user, pour sa création artistique, de la vanité ou de l’avidité d’une créature aussi parfaitement conforme à son propre idéal de beauté féminine.

Et certes, si la femme qu’il a épousée en 1520 n’avait eu dès lors à lui offrir, avec toute la rondeur de sa dot, que la misérable figure ravagée du portrait de Bâle, on l’excuserait aisément d’avoir continué à prendre » pour modèle son ancienne amie, Madeleine d’Offenbourg. Mais il y a, au petit musée de la Haye, un portrait de jeune femme dont la ressemblance avec maintes figures ultérieures du maître nous autorise formellement à le considérer comme l’image d’Elisabeth Schmid, à la veille ou au lendemain de ses secondes noces. Ce portrait-là encore, comme celui de la « mère douloureuse » de Bâle, j’atteste que personne n’a pu le voir sans le conserver à jamais vivant dans ses yeux, avec la fraîcheur lumineuse de son coloris, et le parfum délicat de pureté, d’exquise et limpide douceur, qui s’en exhale comme d’une rose blanche sous an ciel bleu de printemps. La femme qu’a épousée Holbein n’était peut-être pas belle : mais à coup sûr elle avait un charme qui, du plus profond de son âme, coulait et se répandait jusque sur tout l’ensemble extérieur de sa gracieuse personne ; et à coup sûr son mari l’aimait, lorsqu’il a peint ce portrait qui là-bas, au rez-de-chaussée du Mauritshuis, illumine de sa claire présence tout le coin