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dernier, avec sa crainte de rien livrer de soi, aura passé inaperçu au milieu des contemporains que son métier l’obligeait à fréquenter : à moins encore de supposer chez quelques-uns d’entre eux, au lieu de la simple indifférence que l’on emporte de la rencontre d’un tapissier ou d’un commis de boutique, quelque chose de l’antipathie plus ou moins réfléchie que nous a révélée, dans ses lettres, le pénétrant Érasme à l’égard d’un peintre qui allait cependant contribuer plus que tous ses propres livres à le rendre immortel ? Toujours est-il que, touchant la vie privée d’Holbein à Bâle, — sa vie privée à Londres, ensuite, nous est complètement inconnue, — nous savons uniquement que les deux figures de Laïs de Corinthe et de Vénus avec un petit Amour, — appartenant au musée de Bâle et datées, l’une et l’autre, de 1526, — représentent une certaine demoiselle (ou dame) Madeleine d’Offenbourg, dont les mœurs ne laissaient pas de scandaliser la pruderie bâloise, et qui daignait honorer de ses faveurs le jeune peintre souabe. Cela nous est affirmé par l’imprimeur et ami d’Holbein, — ce Boniface Amerbach dont le portrait, au même musée, nous révèle la profondeur du charme exercé sur le maître par sa récente découverte du génie italien. Et nous savons d’autre part que, vers 1520, Holbein, revenu de Lucerne et décidément admis à la maîtrise dans sa patrie adoptive, a épousé une veuve un peu plus âgée que lui-même, et sans doute en possession d’une dot relativement assez ronde : cette Elisabeth Schmid que nous montrera, moins de dix ans après, le sublime et tragique portrait du musée de Bâle.

Voilà tout, pour ce qui est des documens historiques ; mais écoutons à présent la voix même d’Holbein, telle qu’à jamais nous l’entendons s’élever, contre sa mémoire, de la suite de ses tableaux et de ses dessins ! Tout d’abord, nous y apprenons que le maître a apprécié de bonne heure les agrémens divers de la créature qu’il va nous faire voir, en 1526, étendant effrontément la main pour recevoir de nouvelles pièces d’or, destinées à rejoindre la vingtaine de ducats qui s’étalent déjà à côté d’elle. L’ovale allongé du visage de la future Laïs nous apparaît dès les premiers dessins exécutés par Holbein après son arrivée en Suisse. C’est Madeleine d’Offenburg qui a servi de modèle pour une Vierge regardant l’Enfant quelle tient dans ses bran, pour une Sainte Barbe portant un calice, et sans doute aussi pour un beau Saint Michel, trois dessins de la jeunesse de l’artiste. Un peu plus tard, — mais toujours, sans doute, avant le mariage d’Holbein, — voici des interprétations « profanes » de la même figure : cette fois, la jeune Laïs revêt des toilettes d’une richesse volontiers