Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sûreté recueillie des quattrocentistes et l’éclatante richesse décorative de leurs héritiers, voici que toute la science et tout l’agrément sensuel des maîtres italiens se, communiquent à ce petit peintre souabe, bas sur jambes avec une plate et hargneuse figure de « gagne-petit » mal embourgeoisé ! Je ferme les yeux, après avoir regardé les photographies du volume de M. Ganz, et je laisse surgir devant moi, telles que mon souvenir les conserve à jamais, les images du négociant Georges Gisze de Berlin et du Jeune lord à l’œillet de Francfort, du Fauconnier Cheseman de La Haye et du vieux Charles de Morette de Dresde ; je revois la svelte et délicate Christine de Danemark à Londres, à Paris la lumineuse Anne de Clèves, et vingt autres portraits d’hommes et de femmes de toute race et de toute condition, se détachant du panneau ou de la toile avec une intensité de relief pictural, une splendeur de tons savamment nuancés, une aisance familière ou une noblesse, et avec une diversité dans la conception comme dans les moindres détails de la mise en œuvre, dont je cherche vainement l’équivalent chez les plus grands maîtres de la peinture moderne.

Qu’est-ce donc qui m’empêche d’aimer ce peintre-là autant que je l’admire, ou même, plus exactement, de l’admirer autant que semblerait l’exiger de moi la reconnaissance de l’incomparable vigueur et de la beauté de son art ? Un seul défaut, à dire vrai, suffit pour me gâter tout l’effet, d’ailleurs constant et irrésistible, de ces qualités du génie d’Holbein. J’ai l’impression que ce grand peintre n’est pas tout à fait loyal, qu’il ne « joue pas, » en quelque sorte, « tout son franc jeu » avec nous, et que la sournoiserie cauteleuse qui se trahit à nous dans son portrait de Florence (après nous être apparue déjà, me semble-t-il, dans le dessin que son père a fait de lui à treize ans) s’insinue jusque dans ses œuvres les plus magnifiques. Cet homme-là, lorsqu’il nous représente ses modèles, découvre en eux des choses qu’il ne nous dit pas. Presque invariablement l’expression, la vie profonde de ses modèles se trouvent quasi arrêtées en chemin. Le peintre nous laisse bien voir qu’il les a devinées ; et jamais les figures des divers personnages ne manquent à nous offrir un reflet du mystère des passions qui s’agitent en eux : mais ensuite, quand est venu le moment de nous révéler ce mystère, le prudent ouvrier souabe se retient, — renforcé encore dans sa réserve instinctive, peut-être, par une juste crainte du terrible patron qu’il s’est procuré en la personne du mari d’Anne Boleyn et de Catherine Howard.

Ces demi-confidences des portraits d’Holbein, c’est encore un