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outre, au long des siècles suivans, la patrie adoptive d’Holbein devait chérir en lui le plus grand et le plus illustre de tous ses enfans, ne se lassant pas de proclamer sa gloire à la face des hommes avec une sollicitude infiniment touchante, — et, d’ailleurs, couronnée d’un succès extraordinaire.

Car il faut bien le reconnaître : la ville de Bâle a amplement payé à Holbein sa dette séculaire d’admiration et de gratitude. Jamais, peut-être, la renommée d’aucun peintre n’a autant profité de la conservation de l’œuvre de ce peintre dans le petit recoin du monde où il a vécu. C’est en bonne partie le musée de Bâle qui a valu au fils cadet du vieil Holbein d’Augsbourg la situation, toute privilégiée, qu’il occupe aujourd’hui dans l’estime à la fois du public et des connaisseurs. Qui donc, parmi les lecteurs de cette Revue, ayant eu l’occasion de s’arrêter à Bâle, n’a point passé quelques heures en tête à tête avec l’hôte à peu près unique du musée de cette ville, — alors qu’à Milan ou à Munich, le lendemain, la surabondance des chefs-d’œuvre exposés dans les galeries publiques allait le forcer à répartir hâtivement son attention entre une foule de maîtres pour le moins égaux, en vivante beauté, à l’auteur des deux Passions, du Christ mort, et du portrait d’Amerbach ? Au Louvre même, Holbein est représenté par une demi-douzaine de portraits dont chacun aurait de quoi nous retenir longuement : combien nous les connaissons peu en comparaison des tableaux vus à Bâle ! Ou plutôt combien le souvenir de ces derniers contribue à mettre en valeur, pour nous, ces portraits du Louvre, combien il a de part dans l’intérêt que nous inspirent désormais toutes les autres peintures d’Holbein rencontrées en Hollande ou en Italie, aux quatre coins du globe ! C’est comme si, grâce à un concours opportun de circonstances diverses, cette ville située au centre de l’Europe imposait au voyageur l’obligation absolue de découvrir le génie de son peintre : service en vérité très grand rendu par elle à nous tous, mais aussi au peintre lui-même. Non pas certes que l’œuvre de celui-ci soit de celles qui ont besoin d’un artifice ingénieux de présentation pour nous révéler toute leur éminente maîtrise artistique ; mais que si Holbein, en plus de l’hommage qu’il reçoit légitimement de notre intelligence et de notre goût, se trouve encore occuper dans notre cœur une place que n’y obtiennent pas tels maîtres d’une poésie ou d’une émotion créatrice supérieures aux siennes, de cela il est moins redevable à son propre mérite qu’à la tendresse orgueilleuse de la vénérable cité, — modèle parfait de ces mères qui, à force de zèle et de douce insistance,