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sauterelles sur l’Egypte. A tous les degrés de la hiérarchie, administrateurs de tous ordres et leurs dames pillent, rançonnent et se gobergent. Mme Lebray, résidente supérieure, est une ancienne habituée du Moulin-Rouge ; c’est même l’unique raison pourquoi M. Lebray est résident supérieur. Petit journaliste, et qui jusqu’alors avait ignoré jusqu’à l’existence de la colonie où il va résider supérieurement, le jour de son mariage, il a trouvé dans la corbeille sa nomination qu’y a galamment déposée un puissant protecteur de sa femme. Sa conception de l’administration coloniale est des plus simples. De toute évidence, nous ne resterons pas éternellement en possession de nos colonies ; un jour ou l’autre, elles échapperont au joug de la métropole : il importe donc d’en tirer, avant ce jour de l’inévitable séparation, tout ce qu’il est possible, et, pour mieux y réussir, de les pressurer à outrance. Il arrive que dans cette fièvre d’exactions on se laisse entraîner un peu loin ; mais le point de vue ne saurait être le même en France et à quatre mille lieues des rives de la Seine. Il y a des matières où ce n’est pas trop de deux morales. Vérité en Europe, erreur en Asie. Au reste, qu’un gouverneur zélé et naïf n’essaie pas de dénoncer ces abus, et surtout de les réformer : il serait immédiatement rappelé, tandis que M. Lebray, lui, est intangible.

Le second acte est consacré à mettre en scène le système de colonisation qui est proprement celui de la France. Il consiste à tout bouleverser, tout révolutionner, sans respect pour les traditions, sans égard au passé, au milieu, au climat. « Déjà, s’écrie avec une grandiloquence imbécile le gouverneur Régial, j’ai donné des ordres pour que la Table des Droits de l’homme et du citoyen fût traduite en mer et affichée dans toutes vos écoles… » Et ce Homais galonné continue : « Bref, ma volonté est de changer la face économique de ce pays par l’emprunt… et par notre civilisation, de transformer vos mœurs, vos lois, vos coutumes, de briser les liens et les traditions qui vous rattachent au passé. Vous voyez que j’ai de grandes choses à accomplir. » En échange de ce que nous leur dérobons, qu’est-ce que nous apportons à ceux dont nous avons résolu de faire le bonheur malgré eux ? Nos arts, nos sciences, notre industrie ? Voyez les faits. Dans ce pays qu’elles « protègent, » nos sacro-saintes Administrations rivalisent de grotesque impéritie. La Marine fait exécuter de grands travaux ; mais, les travaux terminés, port et cale, un beau jour, tout a disparu, englouti dans la vase : on avait négligé de faire des sondages. La Guerre fait établir une batterie. « On travaille, pendant un an, pour placer quatre énormes pièces. Un matin, le