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sous la scène. Entre le parlementarisme, le journalisme, le théâtre et la finance, il y a toute sorte de communications secrètes et de ramifications qui courent à l’infini. Le nez de Cléopâtre, des Folies-Bergère, s’il eût été plus court, la face de notre politique était changée. Optimiste, M. Capus l’est, encore une fois, à la façon de ce philosophe qui se hâtait de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. La légèreté même de la pièce, la fragilité de l’intrigue, l’inconsistance des caractères sont ici des garanties d’observation fine et de justesse. Nous sommes dans le domaine de l’absurde et dans le royaume des ombres, c’est-à-dire dans le plein de la vie contemporaine.

Les Favorites groupent une interprétation de premier ordre et chère au public. Mlle Eve Lavallière, qui prête à Luce Brévin sa mutinerie de gavroche et son accent montmartrois, M. Albert Brasseur, qui est un Bourdolle magnifique en baudruche soufflée, M. Max Dearly, M. Prince, d’autres encore, n’ont qu’à paraître pour mettre la salle en joie. On les applaudit chaque soir, avec frénésie. Je suis convaincu d’ailleurs qu’ils nuisent à la pièce — de tout leur pouvoir. Ils sont les virtuoses de la bouffonnerie, les maîtres du grotesque, les rois de l’abracadabrant ; ils prodiguent les ahurissemens, les pantalonnades, les grimaces et tous les tours qu’ils ont coutume d’exécuter avec une si incomparable maestria ; seulement, cette fois, c’est de sobriété, de mesure et de demi-teinte qu’il eût été besoin. Le seul M. Guy, avec sa bonhomie narquoise, est en harmonie avec le texte. Les autres le faussent à l’envi. C’est un exemple remarquable, plutôt que rare, d’une pièce desservie par l’excellence même des acteurs.


Dans les Sauterelles de M. Emile Fabre, il n’y a pas beaucoup plus de pièce que dans les Favorites ; il n’y a qu’un tableau de mœurs, mais dans la manière noire. L’auteur de la Vie publique, des Ventres dorés, des Vainqueurs, est fidèle à lui-même ; on connaît de reste l’art robuste et sans nuances de cet écrivain ennemi des concessions. Il n’a qu’un procédé : la violence continue. Il l’applique, ou, si vous préférez, il l’inflige, — avec conscience et impartialité, — à chacune des manifestations de notre vie contemporaine. Après avoir stigmatisé les mœurs électorales, les pratiques financières, et diverses tares des temps modernes, il a résolu de nous montrer les colonies françaises telles qu’elles sont.

Elles sont à faire frémir.

A Shong-Hoï, chez les Tmères, les colons français, — tous fonctionnaires, — se sont abattus sur le pays, comme jadis les