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de talent et donne des chroniques très remarquées ; et, bien entendu aussi, Luce Brévin lui a tout de suite accordé la juste récompense. Elle a la plume facile et ce n’est pas encore ce qu’elle a de plus facile. Littérature et galanterie, l’une aidant l’autre. L’agrément de la femme sert à la carrière de la femme de lettres ; mais le prestige de la femme de lettres n’est pas sans ajouter à la séduction de la femme. C’est un peu le cas de la femme de théâtre, qui doit une part de son succès personnel à la publicité. Maintenant, Luce Brévin est tout à fait lancée. Lui aussi, hélas ! Bourdolle est lancé, et à corps perdu, dans le désordre. Il a quitté le domicile conjugal. Il est entré dans la bande joyeuse, entraîné dans la folle sarabande…

Donc, voilà un politicien d’une nullité reconnue, un ancien ministre titulaire d’une chute particulièrement burlesque, un homme marié qui n’a plus pour domicile que celui de sa maîtresse, — le ridicule et le scandale. C’est lui que la situation désigne et exige pour être président du Conseil ! Hors de Bourdolle, il n’y a point de salut pour la République. Nommons Bourdolle ! Nommons-le, puisqu’il le faut, mais d’abord faisons-lui un peu de toilette. Ce n’est pas tout d’être ministrable. Cet imbécile, si on l’avait laissé faire, allait divorcer pour épouser Luce Brévin. Mais c’est Luce d’abord qui ne le laissera pas faire. Elle est bien trop intelligente pour s’embarrasser dans la vie d’un colis aussi encombrant. Bourdolle lui a été une aide, au début ; il ne lui serait plus qu’une gêne : elle lui tire gentiment sa révérence. Et Mme Bourdolle, — car il y a une Mme Bourdolle, et qui même est l’honnête et l’admirable femme qu’il n’est pas rare de trouver auprès de ces sinistres pantins, — lui rend sa place au foyer. Elle ne pardonne pas ; elle n’oublie pas : elle recueille une épave. Il y a dans l’indulgence dédaigneuse de son geste toute l’infinité du mépris qui s’attache justement à Bourdolle, à ses comparses, à leurs favorites et généralement à toute cette société, qui est à la société française ce qu’est l’écume aux eaux d’un fleuve troublé dans son cours.

Si vous prenez la peine d’y réfléchir, vous vous apercevrez sans peine que, sous ses apparences de légèreté, cette comédie va assez avant dans l’étude de nos mœurs et qu’elle en découvre de tristes dessous. Car dans ce singulier milieu ce sont nos destinées et celles du pays qui se décident. Ce que nous apercevons de la vie publique, nous tous badauds et simples contribuables, c’est la parade et le boniment. Mais le théâtre est truqué, machiné ; le spectacle est obtenu à l’aide de ressorts secrets et de ficelles invisibles, qui se rejoignent