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Donc, si nous en croyons M. Edgcumbe, pendant cet été de 1813 où nous avons vu Byron si étrangement nerveux et vibrant d’une passion dont l’objet restait invisible, il a revu Mary Chaworth. Elle était seule, malheureuse ; lui, il était beau, célèbre. Elle retrouvait, éblouissant de gloire et de génie, le petit amoureux, qu’elle avait autrefois écouté en souriant.

L’écolier de Harrow avait maintenant l’Angleterre à ses pieds. Ses paroles étaient des chants divins que les femmes recueillaient à genoux. Comme l’Amour à Psyché, il apparaissait à la pauvre solitaire d’Annesley dans un rayonnement de lumière qui l’aveuglait, qui la brûlait. Et elle lui aurait résisté ? Impossible !

Mais à peine eut-elle cédé, les scrupules reprenaient possession de cette âme étroite et timorée, et elle fut d’autant plus épouvantée de sa faute quelle sentit bientôt que cette faute devait avoir une conséquence. On s’imagine sa détresse, son désespoir : c’est l’écho de ce désespoir, suivant M. Edgcumbe, qui donne au journal de Byron un accent de folie, qui imprime à son cerveau une activité fiévreuse, à sa poésie je ne sais quel accent de violence sinistre. Ce qui l’agitait, ce qui bouleversait son âme jusque dans ses profondeurs, ce n’était pas, assurément, le remords d’avoir usurpé les droits d’un mari brutal, infidèle et jaloux, mais la douleur d’avoir introduit la tragédie dans une humble et tranquille existence, d’avoir exposé celle qu’il aimait à un danger, qu’elle était incapable, — il le savait, — de regarder en face.

Or, c’est ici qu’intervient la sœur dévouée. Elle sauvera Mary Chaworth en prenant l’enfant à son compte, comme s’il était né de son mariage avec le colonel Leigh. Elle ne réfléchit pas, elle ne veut pas réfléchir aux suites que peut entraîner pour elle une telle action ; elle ne sait pas que Byron a, un jour, laissé tomber, devant témoins, ce mot imprudent dont on fera plus tard une preuve de l’inceste : « Il y a, en ce moment, une femme qui est enceinte et dont l’enfant est mien. Si c’est une petite fille, je veux l’appeler Médora. » Elle ne prévoit rien de tout cela et s’applaudit d’avoir sauvé l’honneur d’une amie en épargnant un remords à son frère. Tout se passe bien, probablement avec la complicité du colonel Leigh. Dans les lettres que Byron échange avec sa sœur pendant l’été de 1814, on sent qu’il y a un secret entre eux et qu’ils s’entendent à demi-mot : « Mary Chaworth m’a écrit plusieurs lettres… L’amitié, rien