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peu vagues et les autres passablement mesquins. Le grand légiste auquel on les soumit, Lushington, opina pour une réconciliation. Alors lady Byron fit une nouvelle déclaration et, après l’avoir examinée, l’avocat fut d’avis qu’il ne lui serait jamais possible de reprendre la vie commune avec son mari. De quelle énormité l’avait-elle accusée ? Toutes sortes de bruits circulèrent à ce sujet. Les plus méchans évoquèrent le souvenir des orgies de Cambridge et de Newstead, en les embellissant de cent horreurs. Le gros du public se contenta de croire et de répéter que le poète avait fait de Drury Lane un sérail.

Byron avait encore tenté une démarche directe auprès de lady Byron, un appel à son cœur, mais sans le moindre succès. Il hésitait sur le parti à prendre, et il semble bien qu’autour de lui les avis étaient partagés. « Il faut transiger, disait Augusta ; il faut accepter un arrangement quelconque ; car, si l’affaire vient devant la justice, tout se découvrira et cela fera un éclat. » Ces derniers mots sont en français. Les amis de son frère, qui, peut-être, ne savaient pas le fond des choses, étaient d’un avis différent. Suivant eux, si Byron cédait, sans les connaître, aux imputations graves qu’on faisait peser sur lui, il paraîtrait, d’avance, les accepter comme bien fondées. Le poète se rendit à cet argument et fit savoir qu’il ne signerait la demande de séparation que si la partie adverse retirait d’abord et désavouait absolument les griefs exceptionnels. Cet arrangement fut accepté. On ne parla plus des accusations graves, des énormités ; du moins on n’en parla plus tout haut, et la séparation fut prononcée à l’amiable.

Aussitôt Byron quitta l’Angleterre pour n’y plus rentrer. Une heure après son départ, les huissiers envahissaient sa maison de Piccadilly et enlevaient les derniers meubles qui y restaient. Mais ils eurent peine à se consoler de n’avoir pu saisir la voiture qui avait emporté Byron. C’était une berline de voyage, construite sur le modèle de celle de Napoléon. Elle contenait un lit, une bibliothèque et une table pour les repas et pour le travail. Dans cette maison roulante, il parcourut les bords du Rhin, amassant ainsi des inspirations pour le troisième chant de Child Harold ; après quoi, il explora, avec Hobhouse, les sites de l’Oberland Bernois qui devaient fournir le cadre de Manfred. Je passe sous silence la liaison avec Jane Clairmont où son cœur n’eut point de pari, et les débauches de