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voyage, vous trouveriez que je suis devenu un bien bon frère (that I have grown strangely fraternal). » Parlait-il sérieusement ? Voulait-il dire qu’il tournait le dos aux Oxford et aux plaisirs de Naples pour s’enfermer à Newstead en tête à tête avec sa sœur ? Ou pensait-il être compris à demi-mot de sa confidente en lui faisant deviner qu’un autre amour allait le fixer en Angleterre, dans la vieille maison patrimoniale ? Le 8 novembre, il écrivait encore à Augusta : « Je suis embarqué dans une équipée plus sérieuse que toutes les autres. Ce n’est ni C. ni L., ni 0. Peut-être que vous devinerez de qui il s’agit, mais, si vous devinez, n’en dites rien !… Du reste, ne vous effrayez pas : je ne suis pas en danger immédiat. » Si les trois initiales signifient : « Ni Chaworth, ni Lamb, ni Oxford, » voilà le roman des tendres relations, secrètement renouées entre Newstead et Annesley, qui s’écroule et nous laisse encore une fois dans les ténèbres.

Ici M. Hartley Coleridge, le plus récent et l’un des plus diligens éditeurs de Byron, intervient et nous propose une personne à laquelle nous n’aurions pas songé, lady Frances Webster. Byron était l’ami du mari auquel il avait pu rendre quelques services et, à deux reprises différentes, il séjourna dans leur maison. Or voici ce qu’il écrit à propos des Webster : « J’ai passé quelques jours chez eux. La dame est pieuse et jolie : grande tentation pour un misérable de ma sorte. Heureusement, je n’ai rien convoité dans cette maison, si ce n’est un caniche qu’on a eu la gracieuseté de m’offrir. » Ces phrases légères voilent-elles un drame ? Franchement, je ne le crois pas. J’admets que la haute réputation de vertu et même de rigorisme qui entourait lady Frances imposait à Byron, s’il en avait triomphé, une discrétion toute particulière. Mais, si elle avait pris, à ce moment, une influence décisive sur le poète, ne la verrions-nous pas réapparaître dans le reste de sa vie et de son œuvre ?

Pendant tout cet automne, Byron tenait son journal, et ce journal, dans ses incohérences, ses contradictions, ses redites et ses réticences, laisse voir un trouble d’esprit extraordinaire. En voici quelques lignes qui donneront l’idée du reste : «… J’ai terminé hier Zuleika (La Fiancée d’Abydos), ma seconde histoire turque. Je suis convaincu que c’est la composition de ce poème qui m’a sauvé la vie, car je l’ai écrit pour distraire ma