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Mais les écoliers de tous les temps, même dans les milieux les plus aristocratiques, ont toujours été égalitaires et, — pour employer notre vieux mot d’argot scolaire, — il fut « brimé » à Harrow. On raillait sans pitié sa boiterie. Il lui arriva, racontait-il plus tard, de se réveiller avec le pied plongé dans l’eau froide. Cette infirmité l’empêchait de briller dans les jeux, et ce n’est que vers la fin de son séjour à l’Ecole, lorsque le cerveau commence à affirmer sa prééminence sur les muscles, qu’il fut une puissance à Harrow. Même le dernier fait a été contesté.

Le vieux Byron étant mort et Newstead loué à un membre de la famille, le jeune homme alla, pendant les vacances de l’Ecole, rendre visite à son parent et à son futur domaine. C’est à ce moment qu’il fit connaissance avec Mary Chaworth. Cette jeune fille demande quelque attention, tant à cause du rôle qu’elle a réellement joué dans la vie amoureuse de Byron, qu’à cause de celui que lui ont prêté deux écrivains récens, rôle qui ferait d’elle non plus une femme aimée, mais la femme aimée, l’unique, la dominante, la vraie souveraine de ce cœur indompté et insatiable.


II

Mary Chaworth était la petite-nièce de ce gentilhomme provincial, tué en duel ou, — si l’on veut, — assassiné dans un cabaret de Pall Mail par le « méchant » lord Byron, dont George, l’écolier de Harrow, était le petit-neveu et l’héritier. Quoique les Chaworth paraissent avoir été des gens fort débonnaires, il ne déplaisait pas, je suppose, à l’écolier en vacances de se figurer qu’il jouait, avec miss Chaworth, une scène de Roméo et Juliette. Jouer une scène : il n’a jamais pu résister à ce plaisir-là, même quand il n’a d’autre spectateur que lui-même.

Revenons à miss Chaworth. Nous avons un portrait d’elle. Jugeons-la comme on juge dans un salon : « Elle n’est pas mal, mais si insignifiante ! » En effet, il y a dans les maisons de campagne anglaises, aujourd’hui comme alors, beaucoup de petites demoiselles qui lui ressemblent, et nous n’avons pas l’ombre d’une preuve pour nous faire croire qu’elle en différait par la mentalité ou par les sentimens. « Elle me semblait un ange, disait Byron à un ami, bien des années plus tard ; j’incarnais en