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fils, alors âgé de seize ans, et elle se demandait presque s’il ne faudrait pas en dire plus long pour réveiller ses souvenirs et lui raconter ses amours de sept ans. Mais elle fut saisie en le voyant pâlir d’émotion et perdre connaissance.

Gardons-nous, là-dessus, d’imaginer un être qui ne peut se reprendre lorsqu’il s’est donné et qui restera inviolablement attaché au premier visage féminin qui l’a ému. Non : il a eu un second, peut-être un troisième amour. Il ne songeait plus à Mary Duff ; il l’avait oubliée et voici qu’un mot l’en fait souvenir, et ce souvenir a l’impétuosité, la violence de tous ses sentimens ; il lui rend l’impression ancienne dans toute sa force, accrue par le progrès des années. Ainsi nous est révélée cette étonnante susceptibilité aux émotions de l’amour qui l’oblige à aimer de nouveau toutes les femmes qu’il a aimées, lorsqu’il les rencontre ou lorsque leur souvenir s’offre à sa pensée.

Margaret Parker est la seconde de ces enfans amoureuses qui ont éveillé l’imagination du poète avant ses sens. Nous savons qu’elle était sa cousine et qu’elle avait douze ou treize ans, l’âge où la jeune fille devient intéressante et où elle prend l’avance sur son petit camarade du sexe masculin. Elle meurt toute jeune, et pendant sa dernière maladie, le nom de Byron, prononcé devant elle, appelle une rougeur sur ses joues pâles. Quant à lui, il écrira sur elle une élégie d’un goût classique et remplie de pieux sentimens. Il n’est pas encore arrivé à l’âge où sa douleur, comme sa colère, se créera une expression à elle.

Un coup de théâtre a fait tomber les étroites murailles qui encerclaient sa jeune existence. Deux morts inattendues ont fait de l’orphelin l’héritier d’une pairie. Il est toujours pauvre, car le vieux lord, qui détient encore les biens des Byron, n’en veut rien distraire pour subvenir à l’éducation de son petit-neveu. Loin de là : il s’applique à ruiner ce magnifique domaine de Newstead Abbey que le fondateur de la Réforme anglaise a donné à l’un des Byrons[1] et qui, depuis, avait servi de résidence à la famille. Par bonheur, il est des accommodemens avec une pauvreté qui sera riche à vingt et un ans, sans parler d’un titre qua est, à lui seul, un capital. Lorsque Byron entra à l’Ecole de Harrow, il était déjà porteur de ce titre et il en était très vain.

  1. Le don de Newstead récompensait le zèle qu’avait mis le Byron d’alors à persécuter et à spolier les moines ; la pairie fut octroyée à un autre Byron sous Charles II pour payer sa complaisance conjugale en faveur du Roi.