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soupçonné. Il est certain qu’elle a aimé Byron, mais il est douteux que Byron l’ait aimée. Le sentiment qui le retint si longtemps auprès d’elle, était la reconnaissance envers une femme généreuse et passionnée qui lui avait tout sacrifié et le désir de montrer au monde qu’il était capable de persévérance et de fidélité. Il disait à lady Blessington : « Si j’avais épousé une femme comme la comtesse Guiccioli, j’aurais été pour elle un excellent mari. » Ce n’est pas le mot d’un amant. Il croyait remplir envers elle un devoir, payer une dette d’honneur. Après la séparation judiciaire des époux Guiccioli, il fallut de longs mois pour que Byron se décidât à quitter Bologne où il était le locataire du comte et à rejoindre la comtesse en Toscane. Ce fut à Gênes, seulement, qu’il accepta la vie commune avec toutes les conséquences d’une liaison ostensible. Il ne lui confia point ses projets sur la Grèce et le nom de la Guiccioli ne fut pas un des trois noms qu’on l’entendit murmurer à sa dernière heure : « Ma femme… Mon enfant… Ma sœur ! »

Parmi les femmes de Byron, nulle n’était plus dévouée, plus noble, plus désintéressée, plus digne d’être aimée que la Guiccioli. Mais le poète avait épuisé sa force d’aimer avant de la rencontrer. En effet, le premier point à noter chez lui est une sensibilité effroyablement précoce. Reportons-nous au temps où le petit George Gordon-Byron grandissait obscurément dans la petite ville d’Aberdeen où les vents de la mer du Nord font les hivers si rudes. Du côté paternel, quelles hérédités ! Son grand-oncle, le « méchant lord Byron, » a tué un de ses voisins dans un duel irrégulier et sans témoins ; une légende de cruauté et d’avarice s’est attachée à son nom. Quant au père et au grand-père de l’enfant, ils ont porté, l’un après l’autre, le même sobriquet : Byron le fou. A dix-neuf ans, le capitaine Byron est un beau jeune homme qui se laisse enlever par une grande dame, lady Carmarthen. Elle l’épouse, après avoir divorcé, et ils vivent ensemble dans ce délicieux Paris qu’éclaire d’un jour féerique le « couchant de la monarchie. » Elle meurt, j’ai failli écrire : elle en meurt, et le capitaine se réveille de son voluptueux rêve en pleine misère. Il cherche une héritière pour payer ses dettes et, le tour joué, s’éloigne pour en faire de nouvelles et trouver, dans une de nos villes de province, une mort prématurée qui pourrait bien avoir été un suicide, mais qui, dans tous les cas, n’a rien de glorieux. Il a pris,