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Versailles, dans toute sa splendeur, n’eut sous Louis XIV qu’une baignoire honoraire, vasque immense en marbre du Languedoc, où personne jamais ne se plongea et qui, déménagée plus tard, sert aujourd’hui de bassin, au milieu d’une pelouse, dans la propriété de l’Ermitage au bout du boulevard de la Reine. A Chanteloup, chez le duc de Choiseul, en pendant à la chapelle, existait dans la cour un « pavillon des bains ; » c’était un rite nouveau, mais rarement pratiqué, faute d’eau à discrétion.

Ce bien, aujourd’hui banal dans les plus modestes logis des grandes villes, fut ignoré de nos devanciers immédiats : les bains coûtaient 2 francs à Paris en 1825, le même prix qu’en 1525 sous François Ier. Aussi en usait-on modérément : ils figurent pour 46 francs par an, sous Charles X, dans les comptes de ménage d’un maréchal de France qui payait en outre annuellement 100 francs à son porteur d’eau.

Sous Napoléon III, le porteur d’eau coûtait 72 francs chez un grand médecin de la rue des Petits-Champs. A raison de 10 centimes « la voie, » — prix usuel des fils de l’Auvergne pour les seaux qu’ils montaient sur leurs épaules, — ces 72 francs représentaient 14 mètres cubes ; à 0 fr. 35 centimes le mètre cube, — prix actuel de la Compagnie des Eaux, — ils correspondent à 206 000 litres.

Une gazette humoristique du temps de Louis XIII se divertissait de l’entreprise, amusante à ses yeux par excès d’invraisemblance, d’un « soi-disant ingénieur qui avait installé un moulin à vent au haut d’une maison, en l’île Notre-Dame, pour fournir aux bourgeois un muid d’eau (268 litres) par jour. » Sa machine finie, il n’ose, dit le nouvelliste, la faire tourner parce qu’elle ébranle tout l’immeuble, « et l’on doit recourir comme auparavant à la porteuse d’eau. » Quelques puits commençaient alors à être garnis « d’un artifice afin de tirer l’eau, » c’est-à-dire d’une pompe. Quant aux sources de Belleville, des Prés-Saint-Gervais et de Rungis (près Berny), canalisées jusqu’au Louvre, elles ne servaient qu’à quelques grands personnages, autorisés à établir sur la conduite des branchemens dont le diamètre variait avec leur dignité ou leur faveur.

Vers la fin de la monarchie (1782) on construisit au bout du Cours-la-Reine la « grande machine à feu, » qui devait puiser l’eau dans la Seine et la refouler, par un tuyau de 0m, 66, jusqu’à un réservoir établi sur les hauteurs de Chaillot,