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franc-comtois raillait en 1619 les hobereaux de son pays qui « s’accagnardent de père en fils au foyer d’une chétive cabane façonnée en château… et se contentent de l’abri d’une salle obscure et dépavée où les rats font rage. » Les habitations urbaines n’étaient pas moins modestes jusqu’à la fin du XVIe siècle : à Poitiers, le logis des Herbert, famille puissante et grandement alliée de la bourgeoisie provinciale, se composait au rez-de-chaussée d’une salle unique de 7m, 20 sur 11m, 50, éclairée par deux croisées à meneaux faisant vis-à-vis à une cheminée monumentale. Au premier et au second étage, cette surface se divisait exactement en deux pièces de 6m, 65 sur 7m, 20 ; une tourelle polygonale, en saillie, renfermait l’escalier desservant les deux étages à l’aide d’un couloir extérieur en bois. Et c’était tout. Par ses pignons élancés, couronnés de fleurons fièrement galbés, par ses ornemens multiples, culs-de-lampe et animaux divers, cet hôtel démoli en 1887 était un morceau exquis d’architecture ; mais ses dimensions et sa disposition, de même les bancs en pierre qui garnissaient les embrasures des fenêtres et le carrelage en terre cuite que supportait le bouzillage des planchers, révèlent les mœurs très simples des propriétaires.

Albert Dürer, dans son Voyage aux Pays-Bas, dit n’avoir pas vu, dans toute l’Allemagne, maison pareille à celle du bourgmestre d’Anvers qu’il appelle une demeure princière. Or cette maison n’avait vraiment de remarquable que sa taille, alors exceptionnelle, aujourd’hui assez ordinaire à nos yeux. De fort piètres demeures suffisaient à des seigneurs qualifiés : à Nancy, l’hôtel des Ludres, sénéchaux de Lorraine, était une maison achetée en 1502 d’un marchand, dans la grand’rue, pour 7 000 francs de notre monnaie.

« Il n’en coûte guère plus aujourd’hui, écrivait Voltaire (1751), pour être agréablement logé, qu’il n’en coûtait pour l’être mal sous Henri IV… A voir ce nombre prodigieux de belles maisons, bâties dans Paris et dans les provinces, on croirait que l’opulence est vingt fois plus grande qu’autrefois. » Voltaire n’avait pas compté avec les architectes ; la richesse s’était accrue en effet et si les maisons étaient mieux bâties et les appartemens mieux distribués, les loyers étaient plus chers. C’est même parce que le type avait changé beaucoup plus à Paris qu’en province, que l’on payait au faubourg Saint-Germain, pour nombre d’hôtels, plus de 15 000 francs par an