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tes enfans, en attendant avec courage que la mort t’appelle et fasse de toi une ombre élyséenne.

— Une ombre ? murmurait le jeune homme, nous ne sommes donc que des ombres !… Cette pâle espérance ne peut me suffire. Tu veux donc que je vive pareil aux cigales des bords du Céphise, aux cigales qui meurent après l’été sans espoir de renaître, ou aux rossignols de Colone qui émigrent en Egypte sans savoir s’ils reviendront jamais ? Toi qui sais, prête-moi ta lumière, je t’en conjure par les Dieux infernaux !

— Prends garde d’outrager le Dieu de Delphes ! répondait le pontife. Apollon n’aime pas les libations funèbres et n’a rien à faire avec les morts. Il hait le Styx comme Zeus lui-même et ne quitte jamais sa lumière !

Une poignée d’encens jetée par le pontife sur la cendre du trépied en faisait jaillir une gerbe d’étincelles, et, pour un instant, on voyait sortir de l’ombre la statue sévère de l’archer divin, le pied posé sur le serpent Python.

— Puisque tu as tant d’audace, continuait le prophète à voix basse, va chez les prêtres d’Eleusis, chez les Eumolpides. Là, les grandes déesses, Déméter et Perséphone, te feront descendre dans le Hadès… et tu connaîtras les mystères de Dionysos… si tu es capable de supporter le voyage…

— Pour ce voyage, disait le jeune homme ravi, accorde-moi l’oracle d’Apollon !

— Impossible. Apollon et Dionysos sont frères, mais leurs domaines sont séparés. Apollon sait tout et quand il parle, c’est au nom de son père. Dionysos, lui, ne sait rien, mais il est tout, et ses actions parlent pour lui. Par sa vie comme par sa mort, il révèle les secrets de l’Abîme. Quand tu les auras appris, puisses-tu ne pas regretter ton ignorance !

Une dernière lueur du feu couvant sous la cendre… un son métallique du trépied gémissant comme une voix humaine… un geste impérieux du pontife… et l’éphèbe, saisi de crainte, sortait du temple pour redescendre la Voie Sacrée. Les blanches statues des héros et des Dieux veillaient toujours debout sur leurs piédestaux, dans la clarté lunaire, mais ils semblaient devenus des fantômes et la voie déserte s’étendait silencieuse sous la froide lumière de Sélènè.


EDOUARD SCHURE.