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Ne voit-on pas dans ce tableau l’éclosion de la religion nouvelle ? Aux sons de la musique apollinienne, les nefs arrivent de toutes parts vers l’île sacrée. Hommes et femmes montent par groupes au temple, au son des lyres. Et l’on sent ce que cette architecture humaine a de chaste et de grave. C’est l’empreinte d’Apollon sur la race ionienne. Sous ses pas, les cités grecques s’ordonnent en rythmes de beauté. Bien des siècles plus tard, lorsque, après la victoire de Platées, les Grecs élevèrent dans cette ville un autel à Jupiter Libérateur, ils voulurent que le premier feu y fût apporté du sanctuaire de Delphes qui n’avait pas été souillé par la présence des barbares. Un jeune homme, Euchidas, s’offrit pour faire ce parcours de plus de vingt lieues sans laisser le feu s’éteindre. Lorsqu’il l’apporta, pareil au coureur de Marathon, il tomba mort. Ce fut l’hommage de la jeunesse virile à son Dieu.

Si Apollon préside à l’organisation de la cité, sa plus subtile et sa plus noble influence se manifeste dans l’inspiration poétique. De cette vague d’inspiration que le verbe solaire roule de l’Hellade à l’Ionie, et qui reflue de l’Ionie à l’Hellade en innombrables rhapsodies, sont sorties l’Iliade et l’Odyssée, l’épopée et la théogonie. Homère comme Hésiode, les cycles variés de la légende héroïque et de la mythologie, qui s’entrecroisent en grands cercles sans se confondre comme les rides d’une eau limpide. Quel est le caractère primitif et la nature de cette inspiration ? Lucrèce a dit quelque part que les hommes aperçurent d’abord les formes sublimes des dieux pendant leur sommeil. Le début de la théogonie d’Hésiode confirme cette hypothèse. C’est près de la fontaine violette de l’Hippokrène, à l’ombre épaisse des grands chênes qu’Hésiode a sa vision des Muses. Dans son rêve, il les voit descendre du neigeux Olympos avec leurs pieds légers. « Se précipitant enveloppées d’un air épais, elles vont dans la nuit, élevant leur belle voix et louant Zeus tempétueux et la vénérable Hère, l’Argienne, qui marche avec des sandales dorées, et la fille de Zeus tempétueux, Athènè aux yeux clairs et Phoïbos, Apollon et Artémis joyeuse de ses flèches. — Pasteurs qui dormez en plein air, crient-elles, race vile, qui n’êtes que des ventres, nous savons dire des mensonges nombreux semblables aux choses vraies, mais nous savons aussi, quand il nous plaît, dire la vérité. » Ainsi parlèrent les filles véridiques du grand Zeus, et elles me donnèrent un sceptre, un