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prêtres-rois, vivant sur des hauteurs fortifiées. Ces anaktes s’imposaient par la force et la terreur, au nom du vainqueur des Titans, fils d’Ouranos et de la Nuit saturnienne. On obéissait à ses oracles sans les comprendre. On l’invoquait la nuit dans les yeux innombrables du firmament, on se courbait sous sa foudre roulante, on l’écoutait gronder dans le frisson des chênes. Par les décrets de ses prêtres-rois, il réglait impérieusement les destinées des peuples, groupés pour la défense de leurs troupeaux autour de murs cyclopéens. Mais ce Dieu ouranien et cosmogonique s’intéressait à peine à la race misérable des mortels, il les tolérait plutôt qu’il ne les aimait. Sa puissance protège les foyers, les pactes, les sermens. Mais lui, qu’est-il, l’Inaccessible ? Qui le verra jamais ?

Ce fut une véritable révolution quand les Doriens, vêtus de peaux de bêtes, armés de grands arcs et de longues flèches, suivis de leurs femmes rousses, sortes de druidesses qui invoquaient Hélios à grands cris, dans un délire sacré, avant les combats, descendirent dans l’Hellade. Le Dieu solaire qu’ils apportaient dans leurs yeux d’azur flamboyant, dans leurs carquois et leurs hymnes, n’était pas un Dieu lointain, mais un Dieu partout présent. Le soleil n’était que son signe extérieur, son char céleste. Ce fils de Zeus parlait directement au cœur des hommes. Il parlait un nouveau langage, par les armes, par la lyre et le chant. Bientôt une immense vibration traversa l’âme hellénique, frisson de lumière et de mélodie. Que Jupiter tonne sur les sommets, Apollon se révèle dans les beaux corps nus et les hymnes de joie. On eût dit alors que le rythme des astres se communiquait aux membres humains, au nombre de la parole, aux cordes de la lyre, aux phalanges guerrières, aux théories des vierges, pour se cristalliser aux colonnes naissantes et aux architraves des temples. Le verbe solaire d’Apollon allait créer l’homme harmonique et la cité. Ce fut son premier miracle.

De tout cela on trouve l’écho dans l’hymne homérique à Apollon[1]. Le génie grec anthropomorphise et localise ses Dieux, mais ou surprend dans sa poésie l’écho de lointains événemens cosmiques.

« C’est par toi, ô Phoïbos, dit le rhapsode, que les chants

  1. Les prêtresses hyperboréennes de Délos, les Vierges Déliades, dont parle déjà l’hymne homérique et dont M. Homolle a trouvé les tombeaux ù Délos, en furent une suite.