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dit un contemporain, « une forme extraordinaire. » Le fameux Lavater, qui se livra à l’étude détaillée de sa physionomie, prétendait découvrir dans « la couleur, la coupe et l’enfoncement de l’œil un indice de sagesse, de noblesse, de gravité mêlée de douceur, » de même que « le teint d’un jaune pâle » décelait un caractère « foncièrement uni et paisible[1]. » La voix, timbrée et musicale, ajoutait du charme aux paroles. Ce qui frappait surtout, c’était un air d’autorité répandu sur toute la personne, un maintien imposant, une attitude de tranquille assurance, qui ne déplaisait pas, parce qu’on la sentait fondée sur un réel mérite. « Si j’avais vu M. Necker sans le connaître, dit encore Lavater dans le morceau que j’ai déjà cité, je ne l’aurais jamais pris pour un homme de lettres, ni pour un militaire, ni pour un artiste, ni pour un négociant. Il était dans l’âme prédestiné ministre. »

Son défaut dominant était incontestablement l’orgueil ; mais cet orgueil était une force, parce qu’il se mêlait à des intentions droites, à un réel amour du bien, à un grand respect de soi-même, le préservant ainsi de toute bassesse, de toute compromission. « Les hommages mêmes qu’il se rendait, l’engageaient, a-t-on dit finement, à en rester digne à ses propres yeux. Il se considérait, lui, sa femme et sa fille, comme d’une espèce privilégiée et presque au-dessus de l’humanité ; mais il en résultait qu’il aimait à remplir quelques-unes des fonctions de la Providence, et qu’avec des formes superbes, il faisait beaucoup de bien[2]. » Comment d’ailleurs eût-il pu douter de lui-même, encensé comme il fut, pendant tout le cours de sa vie, par ses amis, par sa famille, dont il était l’idole ? Sa femme, dans son propre salon, lui lira un jour son portrait qu’elle vient de composer, où le mot de « génie » revient presque à chaque paragraphe, où elle le compare tour à tour à un « lion, » à un « volcan, » à un « Apollon, » à une « colonne de feu. » Et le comte de Grillon dira à M. d’Allonville : » Si l’univers et moi professions une opinion, et que M. Necker en émît une contraire, je serais aussitôt convaincu que l’univers et moi nous nous trompons ! » Faut-il donc s’étonner que, vivant au milieu de telles adulations, il ait quelque penchant à glorifier, à vanter

  1. Portrait de M. Necker par Lavater, publié dans les Mémoires de Soulavie.
  2. Portrait de Necker par Benjamin Constant, retrouvé dans les papiers de Mme Récamier et communiqué par elle à Mme Louise Colet. «