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mystère. A un ami qui lui conseillait le repos : « Je veux être, répondait-il, lieutenant général et ministre à quarante ans ; ainsi je n’ai pas de temps à perdre. » Pour atteindre son but, il cultivait et il menait de front l’art militaire, la politique et la littérature. C’est dans cette dernière branche qu’il rencontra tout d’abord le succès. Des vers aisés, d’aimables et légers opuscules, des traductions d’auteurs latins et, mieux encore que tout cela, l’amitié du poète Dorat, dont il se proclamait disciple, lui valurent de bonne heure quelque réputation dans les cénacles littéraires. A son nom roturier, il ajouta bientôt celui d’une terre de sa famille, et il ne signa plus que « marquis de Pezai. » Dès lors, il se sentit lancé dans la grande route de la Fortune.

On souriait bien un peu de son audace et de ses prétentions. La Harpe notamment, son ancien condisciple sur les bancs du collège d’Harcourt, ne se faisait pas faute de lui décocher des sarcasmes : « Il n’est pas gentilhomme, et il se fait appeler marquis ; il ne sait pas la syntaxe, et il écrit des volumes ; il ne sait pas le latin, et il le traduit. » Des épigrammes couraient, dont voici la meilleure :


Ce jeune homme a beaucoup acquis,
Beaucoup acquis, je vous assure.
En deux ans, malgré la nature,
Il s’est fait poète et marquis.


Le nouveau marquis laissait dire et poussait hardiment sa pointe. Il avait pour premier appui sa sœur, Mme de Cassini, une jolie femme, active, intelligente, ambitieuse comme son frère, peu scrupuleuse sur les moyens, qui tenait dans la capitale une manière de bureau d’esprit, et à qui sa liaison, publiquement affichée, avec le comte de Maillebois, donnait un pied dans le monde de la Cour. Il fut lui-même assez heureux pour obtenir la main de Mlle de Murard, peu dotée, mais fort belle et d’excellente naissance, ce qui contribua également à ouvrir pour lui bien des portes. Enfin, pour ne négliger aucune chance, il devint peu après l’amant de la princesse de Montbarey[1], cousine de Mme de Maurepas, sur qui elle exerçait une réelle influence. Etayé de la sorte, Pezai se vit, à trente-deux

  1. Thaïs de Mailly, mariée à l’âge de treize ans, en 1753, au comte, depuis prince, de Montbarey.