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J’ai dit, dans une récente étude, la douleur de Turgot en assistant à la destruction de son œuvre. Mais, si une mort prématurée ne l’eût privé des revanches de l’avenir, il eût eu la consolation de reconnaître une fois de plus qu’une bonne semence, dans un terrain soigneusement préparé, finit tôt ou tard par germer et par produire des fruits. Le successeur immédiat de Clugny, Necker, se risquait bientôt à son tour sur ce terrain brûlant. Ses idées étaient, sur ce point, fort voisines de celles de Turgot : « Cette question, disait-il au Roi, n’est, en dernière analyse, qu’un débat entre les pauvres et les riches. » Toutefois, prudent par caractère, temporisateur par calcul, il jugeait préférable de confier la réforme à ces administrations provinciales dont il faisait alors l’essai, de laisser aux corps électifs le choix de l’heure et des moyens. Chaque assemblée régla la question à sa guise, dans le sens de la liberté, et la mesure fut généralisée lors de l’assemblée des Notables. Quand survint la Révolution, la corvée avait disparu de toute la surface du royaume[1].


Quelques jours après les corvées, c’est le tour des jurandes. L’édit rendu le 19 août rétablissait six grands corps de marchands et, pour certaines industries spécifiées, des communautés d’arts et de métiers. Ici encore, le préambule dicté par Clugny à Louis XVI affecte le ton et l’accent d’une amende honorable envers le Parlement : « Notre amour pour nos sujets nous avait engagé de supprimer les jurandes et communautés de commerce, arts et métiers. Toujours animé du même sentiment et du désir de procurer le bien de nos peuples, nous avons donné une attention particulière aux différens, mémoires qui nous ont été présentés à ce sujet, et notamment aux représentations de notre Cour de Paris… » Suivent les raisons qui engagent le souverain à abroger, dans ses articles essentiels, l’édit rédigé par Turgot. De cet édit subsistent seules les dispositions accessoires qui détruisent des abus crians, comme l’exclusion des femmes de certaines professions convenant spécialement à leur sexe. Et la liberté du travail est également laissée aux humbles industries exercées par de petites gens, « savetiers, oiseleurs, vanniers, cardeurs de laine et faiseurs de lacets. » Pour tous

  1. Les Finances de l’ancien régime et de la Révolution, par René Stourm, t. I.