Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

article tous les mois. Il écrivait également une Lettre de Russie pour le Journal des Débats. La mort l’a pris, engagé avec le Figaro dans une collaboration régulière, et jamais, au cours de ce labeur qu’il eût été en droit de considérer comme un esclavage, sa plume n’a tracé une phrase qu’il n’ait méditée et rédigée comme eût fait le grand seigneur du château de Gourdan composant ses livres à son aise. La pièce qui lui servait de cabinet de travail n’avait rien dans ces années-là, de commun, par ses dimensions exiguës, avec la vieille bibliothèque de là-bas dont il parlait à Pontmartin avec un regret tendre. Quelques tapis rapportés d’Orient en étaient la parure, et aussi d’anciens portraits, la plupart de gens de guerre qui regardaient leur descendant les continuer à sa manière. Le hasard voulait que les fenêtres de ce modeste logis donnassent sur les jardins attenant à un hôtel qui avait été celui de Villars. Un des ancêtres d’Eugène-Melchior avait épousé la sœur du maréchal, et il on avait hérité. Les portraits avaient été enlevés de l’hôtel quand on l’avait vendu. Ce détail donnait pour moi une poésie singulière à ce coin de Paris où Vogüé a passé tant de nuits, penché sur son papier ou ses épreuves, comme Balzac. Il ne s’interrompait d’écrire que pour allumer une de ces cigarettes de tabac russe dont l’arôme lui rappelait les libres chevauchées de l’Orient, ou bien les visites à ces îles qu’il voulut revoir, lors de son dernier voyage à Saint-Pétersbourg. Quelques minutes de rêve et de nostalgie sans doute, et le bon ouvrier reprenait sa tâche. Ainsi furent composés, après le Roman Russe, ces volumes qui s’appellent : Spectacles contemporains, Regards historiques et littéraires, Heures d’Histoire, Souvenirs et Visions, Cœurs Russes, Devant le siècle, l’Exposition du Centenaire. Relisez-en les sommaires ; vous serez étonnés de l’extraordinaire variété des sujets. Relisez-en quelques pages au hasard. C’est l’unité de la pensée que vous admirerez. Choses d’Allemagne et choses d’Italie, histoire byzantine et histoire coloniale contemporaine, questions rétrospectives et questions actuelles, Talleyrand et Chateaubriand, le maréchal Ney et Hippolyte Taine, Hyde de Neuville et Renan, Ravenne et la revue de la flotte anglaise, lors du jubilé de la reine Victoria, l’empereur Alexandre II et le pape Léon XIII, — tels sont quelques-uns des thèmes traités par l’écrivain, et un même esprit circule à travers ces pages, extrayant, de ces matières si diverses, un même enseignement,