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I

Nous avons, sur les atavismes lointains dont Eugène-Melchior de Vogüé fut l’éclatante mise en valeur, un document de premier ordre : je veux parler du volume publié par le chef actuel de la maison, M. le marquis de Vogüé, sous le titre : Une famille Vivaroise. C’est l’histoire des Vogüé, depuis le XIe siècle où un premier seigneur de ce nom apparaît comme donateur « à vénérable sœur Simplice, prieure de la Villedieu, de toutes les terres qu’il possédait sur la paroisse de Villedieu et de Bayssac. » Cette générosité l’atteste : cette famille avait dès cette époque un établissement solide dans cette partie montagneuse de l’actuelle Ardèche qui ressortissait au diocèse de Viviers. Toute cette portion des Cévennes étant terre d’Empire, et, presque indépendante, par suite de l’éloignement, l’Evêque s’y était constitué une souveraineté véritable. C’est à lui que les familles grandissantes demandaient la consécration de leurs conquêtes territoriales, moyennant quoi elles mettaient à son service la force militaire, instrument à la fois et signe de leur reconnaissance.

Des gens de guerre et des montagnards, tels étaient ces seigneurs de Vogprium, à leur origine. Tels ils demeurèrent tout au long de l’histoire de France. L’auteur d’Une famille Vivaroise a très judicieusement annexé, à son Livre de raison, un tableau généalogique où reviennent sans cesse des mentions comme celles-ci : tué à l’armée d’Italie, tué au Tessin, mort à l’armée de Hollande, tué au siège de Vallon, pour finir par celles-ci : tué à Reichshoffen, tué à Patay, blessé mortellement à Sedan. Eugène-Melchior avait la conscience que c’était bien là une caractéristique essentielle de sa lignée. Lui, si simple, et qui répugnait à tout étalage, il ne portait qu’une décoration : le ruban de la médaille militaire. Il l’avait gagnée en combattant, comme simple soldat, pendant la campagne de 70. Le sentiment de « la grande nécessité française, » c’est ainsi qu’il appelle quelque part la guerre, faisait une pièce maîtresse de cet esprit et de cette sensibilité. Physiquement, cette hérédité d’une race d’officiers se reconnaissait à son allure, à la minceur musclée de son corps, à son masque un peu altier et qui décelait l’instinct du commandement. Moralement, il déployait, dans les moindres choses de la vie, cette discipline personnelle que le