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l’acceptation était vraiment dure du sacrifice qui lui était imposé ! Tout bas, nous appliquions au soldat, muet par force et les bras croisés sous le feu de l’ennemi, la profonde parole de Pascal, que d’autres, eux aussi, ont répétée douloureusement : « Le silence est la pire persécution. »

Une salve d’applaudissemens où s’unissaient toutes les mains a salué la réapparition à la tribune de M. le comte Albert de Mun. Beaucoup de députés, la plupart peut-être, n’avaient pas encore été mis à même de goûter un art si accompli que la beauté en semble faite de simplicité, et qu’il sculpte pour ainsi dire le discours avec la netteté et l’élégance de lignes d’un marbre grec. Pas de morceaux plaqués ou superflus, pas de mouvemens qui ne soient ordonnés, harmonieux, dans le plan de l’ensemble ; et plutôt une attitude que des gestes, mais, en cette attitude, une qualité incomparable, une espèce de « vertu » à la fois personnelle et nationale, la race.

M. de Mun avait déposé une motion préjudicielle tendant à ajourner le débat sur l’accord franco-allemand et sur les interpellations « jusqu’au moment où le gouvernement sera en mesure de donner à la Chambre « les indications précises sur l’état des négociations avec l’Espagne et sur l’adhésion des puissances signataires de l’Acte d’Algésiras. » C’est pour la soutenir qu’il s’était inscrit ; mais toute la question, la question au fond, était dessous ou derrière ; et l’ampleur du sujet devait emporter M. le comte de Mun hors de ce cadre un peu étroit. Il en parcourut en effet l’étendue entière, avançant de sommet en sommet, et plantant sur chacun d’eux, comme jalon ou signe de repère, un point d’interrogation. « Ce qui vous est proposé, dit-il, ce que vous aurez à rejeter ou à accepter par votre vote, c’est un traité qui cède à l’Allemagne une partie de notre empire colonial, un territoire à peu près équivalent aux deux tiers du sol français, conquis sur la barbarie par le dévouement inlassable des héros dont le nom demeure sacré pour la patrie… Ce territoire français, le traité le livre à une nation rivale pour-y étendre ses propres possessions et aussi pour y amorcer les développemens qu’elle leur prépare. Il le lui livre sans qu’aucune infortune, aucun combat malheureux ait condamné la France à un si cruel renoncement. » Pourquoi donc cette « abdication ? » C’est la première question que M. de Mun adresse au gouvernement. Mais voici la deuxième. En consentant une pareille cession, nous n’abandonnons pas seulement à l’Allemagne le tiers de notre Congo, un territoire plus grand que la moitié de la France : nous prenons presque l’Empire par la main pour le conduire, ses pointes menaçantes déjà sorties, jusqu’aux portes du Congo belge.