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celui de la raison, mais celui de la folie, ou tout au moins de la joie païenne, qui presse et précipite ici l’élan d’un hymne doublement bachique, à la fois danse et chanson.

Gardons-nous enfin de négliger cette autre strophe de la lyre :


Chante ! Jupiter règne et l’univers l’implore.


Elle chante l’âme antique toujours, mais l’âme du monde. Lancée, fouettée d’abord par des traits de violons, elle est bientôt entraînée dans un tournoiement, dans une céleste ronde où les thèmes se meuvent, roulent et voguent ensemble à travers l’espace. Instrumentales ou chorales, les masses évoluent avec ordre. Après Théocrite ou Pindare, on se souvient ici de Pythagore. Ainsi que des mathématiques, il peut donc y avoir, dans la musique, même de la cosmographie ! Et l’on conclurait volontiers un peu comme concluait, après une rêverie astronomique aussi, l’auteur des Sources, le P. Gratry : si, en face de cet ensemble grandiose, de cet harmonieux univers, si, en face de ces mouvemens admirables et de ces lois sereines des sons, obéies avec sérénité, vous écoutez sans entendre et sans comprendre, alors, oh ! alors je vous plains.

Maintenant, « en scène ! » Sur le théâtre de M. Saint-Saëns, Hélène occupe une place modeste. Je ne me souviens guère que d’une seule phrase, charmante d’ailleurs, où la fille de Léda regrettait, un peu dans la manière, sinon de la Belle Hélène d’Offenbach, au moins de la Bonne Hélène de M. Jules Lemaitre, l’heureuse paix que sa beauté fatale avait compromise et perdue. Il y avait là de la dignité, de la bonhomie aussi, de la lassitude, avec un grain peut-être de malice. Rien de pareil dans l’Antigone traduite de Sophocle par Meurice et Vacquerie et représentée en 1893 au Théâtre-Français avec accompagnement d’orchestre et de chœurs. Antigone elle-même n’y chantait pas. Il est vrai que la voix, les accens, les gestes et les attitudes de Mme Bartet composaient la plus pure harmonie. Quant à la musique, le musicien, qui ce jour-là se trouvait en goût d’archéologie, l’avait exactement réduite aux éléments de la musique antique : modes grecs, unisson vocal, orchestre peu nombreux (quelques flûtes, hautbois, clarinettes, harpes et quatuor à cordes), qui tantôt soutenait les voix à l’unisson, tantôt brodait sur la mélodie un léger contrepoint. L’ensemble était austère, un peu rigide. Pourtant ces moyens, ces effets archaïques, assurément les plus simples qui soient au monde, parurent quelquefois nouveaux par leur simplicité même. On