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bataille de Dreux (1562). Il leur arrivait plus souvent d’être arrachés au loisir confortable de ce harem mâle que l’on nomme le haras pour partir en campagne : 22 étalons qui faisaient la monte chez le prince de Condé, sont ainsi emmenés par leur maître aux premières guerres de religion. De grands personnages, tels que Sully ou La Meilleraye, de simples gentilshommes, tels que ce baron de Sigognac, en Périgord, dont parle le Roman comique, avaient au XVIIe siècle des haras privés, pépinières locales qui ne fournissaient que leurs propriétaires. Mais nous n’avions rien d’analogue au vaste haras de Mantoue, fondé par le duc François de Gonzague.

Quant aux haras nationaux, depuis cent ans, on en parlait et l’on rédigeait des mémoires sur leur utilité lorsqu’on se décida à les établir. Il existait à Meung depuis Henri II un élevage royal, que le duc de Bellegarde avait transféré (1604) à Saint-Léger-en-Yveline, domaine contigu à Rambouillet. C’est là que Colbert organisa en 1663 la « harasserie » du Roi suivant le sens donné par nos pères à ce mot de haras, qui signifiait pour eux l’élève même du cheval et non pas un bâtiment aménagé à cet effet.

Aussi bien n’y eut-il pas d’autre bâtiment que ce château de Saint-Léger où logeaient, jusqu’à la création du Pin en 1715, un écuyer ordinaire de la grande écurie avec 14 gardes sous ses ordres. Pour Alain de Garsault, premier titulaire de ce poste, le haras dont il était « capitaine » devait être disséminé dans tout le royaume, chez les seigneurs « ayant des lieux propres aux nourritures et que l’on exciterait à faire amas de belles cavales. » Garsault fit à cet effet force tournées en Normandie et en Bretagne : mais il arriva que ces châtelains usèrent comme de leur bien propre des animaux qu’ils avaient en dépôt, malgré les amendes édictées contre ceux qui les feraient travailler sans permission et, quelques années plus tard, il était recommandé aux officiers des haras de « ne se donner aucun mouvement pour engager les gentilshommes à prendre des étalons du Roi, de crainte que ces chevaux ne soient employés à un service quelconque. »

Les paysans à qui on les offrit eurent d’abord quelque répugnance à s’en charger, parce qu’ils s’imaginaient que le Roi prendrait pour lui les poulains qui naîtraient de ses étalons. Pour les détromper (1670), Colbert donna l’ordre d’acheter aux foires pour Sa Majesté les plus beaux produits et de donner aux vendeurs, en sus du prix convenu, des primes de 1 000 à