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économiques du pays s’y opposent, tandis que le système agricole de l’ancienne France laissait pulluler des animaux squelettiques qui ont disparu depuis. En 1763 dans l’Orne, à Saint-Evroul, des chevaux pris en flagrant délit de pâture indue étaient vendus aux enchères, par lots de 5 et de 8, à raison de 12 francs et de 7 francs chacun[1] ; en 1789 à Oissel, dans la généralité du Rouen, sur 150 chevaux, 30 sont passables, les autres valent de 30 à 80 francs. C’étaient là sans doute des hurlotiers, petits chevaux de charbonniers, dont la race est, de nos jours, aussi inconnue que le nom.

Ceux que les fermiers élevaient sous Louis XIV, soit au régime de la vaine pâture, soit nourris de panais et navets, comme en Bretagne, comme souvent de pères et mères beaucoup trop jeunes, demeuraient chétifs. Un agronome du temps de Colbert conseillait de faire téter aux poulains une vache en même temps que leur mère, « comme on fait, disait-il, en Perse et en Tartane pour avoir de bons et forts chevaux. » Et il nous apprend ainsi indirectement que les poulinières manquaient de lait, ce qui n’a pas lieu d’étonner, parce qu’alors le fourrage était trop rare pour leur en donner à discrétion.

Est-ce à dire qu’il n’y eut pas d’élevage régulier ? Lorsque le coursier jouait un rôle primordial dans l’existence chevaleresque, les riches barons ont dû prendre soin d’en conserver la race, et quelques seigneurs, comme Robert d’Artois à Domfront (1302), installaient des haras sur leurs domaines. Seulement, ces tentatives isolées ne suffisaient pas aux besoins ; le roi d’Angleterre ayant acheté 80 chevaux en France (1281), Philippe le Hardi lui fait dire que la rareté des bons chevaux chez nous l’empêchait d’en laisser passer à l’étranger. C’était au reste de l’étranger que venaient alors les meilleurs des nôtres ; quant à la reproduction de ces types d’élite sur notre sol, nous ne savons rien.

Les turbulences de la vie seigneuriale permettaient rarement à l’étalon, sélectionné sur les champs de bataille, de se reposer des luttes passées en engendrant une pléiade d’héritiers qui perpétueraient sa mémoire, comme firent chez M. de Guise le Moreau-Superbe ou le Bay-Sanson que ce duc montait à la

  1. Ces prix, ainsi que tous ceux qui sont contenus dans cet article, sont des prix actuels, établis en tenant compte du pouvoir relatif d’achat des métaux précieux aux diverses époques ainsi que de la valeur intrinsèque des anciennes monnaies par rapport au franc de 1912.