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suivant les dates, par 30 000 ou 40 000 « maîtres. » Le cavalier, ainsi qualifié parce qu’il était accompagné d’au moins un valet, représentait, au temps de Rocroi, trois chevaux dans les gendarmes, et deux dans les chevau-légers ; dernier vestige de la chevalerie fort effacé à Denain et surtout à Fontenoy.

Ces chevaux de troupe, qu’ils fussent loués, achetés ou empruntés de force par l’Etat aux propriétaires, avec promesse de les payer « en cas qu’il en arrive faute, » étaient d’espèce commune et médiocres guerriers. Leur faiblesse était telle que, si chaque maître n’en avait eu plusieurs à sa disposition, « il n’aurait pu tenir un mois. » Nos généraux, au fort de la guerre de Trente ans, se servaient des régimens étrangers, mieux montés, pour faire toutes les fatigues et « permettre aux nôtres qui n’en étaient pas capables, dit Richelieu, de se tenir toujours en état de combattre. » N’empêche que les animaux appelés à figurer jadis sur les champs de bataille représentaient une fraction plus grande de la population hippique que notre cavalerie actuelle, malgré l’accroissement de ses effectifs.

Au contraire, les chevaux de ferme, qui correspondent aujourd’hui aux trois quarts de l’espèce adulte, n’en pouvaient constituer qu’une proportion assez faible naguère, puisqu’il n’y avait pas en France sous Louis XV un huitième des terres cultivées avec des chevaux. Les sillons qui n’étaient pas bêchés par les « laboureurs à bras, » étaient tracés par des charrues presque exclusivement attelées de bœufs, moins chers à entretenir et plus utiles pour de courts trajets sur les pistes molles et souvent défoncées que l’on appelait jadis des « chemins. »

Le cheval a si fort évolué que, dans nombre de budgets opulens, il a présentement disparu. On ne saurait comparer ce chapitre ancien au chapitre actuel en nature, mais seulement en argent, d’après les dépenses correspondantes : billet de chemin de fer ou timbre-poste, téléphone et automobile : 100 000 chevaux-vapeur, répartis entre 33 000 « autos » d’agrément, ont remplacé depuis 1898, 46 000 chevaux de luxe elles 65 000 voitures auxquelles ils étaient attelés. Les riches et les bourgeois n’ont plus que 84 000 chevaux, au lieu de 130 000, et 208 000 voitures, au lieu de 273 000, il y a quinze ans.

Mais l’automobile n’est pas le privilège exclusif delà richesse ou de l’aisance ; c’est aussi un instrument de travail : les médecins, les officiers ministériels, les commerçans, pour leurs