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pu le croire et l’espérer, une note nouvelle. Si elle n’est pas inférieure par le talent à ses aînées, il s’en faut qu’elle soit moins déplaisante. Je ne sais même pas si l’impression qu’elle laisse n’est pas plus amère. Que les détraqués et les vicieux, qui composaient jusqu’ici la clientèle habituelle de l’auteur, se conduisent comme des détraqués et des vicieux, c’est dans l’ordre. Que dans les bas-fonds où opérait l’Enfant de l’amour, nous eussions affaire aux plus bas instincts de l’humanité, il n’y avait rien là que de très naturel. Mais cette fois l’auteur met à la scène des êtres choisis parmi ceux dont une époque et un pays s’enorgueillissent, et c’est pour découvrir et dévoiler leurs turpitudes ! Il n’est question que de coucheries, de trahisons, de mensonges, de rixes et d’avanies. Gredin, canaille, lâche, misérable, assassin, sont les mots qui retentissent dans cet asile des calmes recherches. On se trompe, on s’injurie, on se bat, on se tue chez ces savans, comme chez les autres crocheteurs. C’est dans la posture la plus humiliée ou c’est dans les altitudes les moins sereines, que nous sont présentés ces héros de l’intelligence. Et on ne nous convie à contempler leur gloire que pour nous la montrer qui glisse dans la boue et dans le sang.

Le tableau est d’autant plus choquant, qu’on le devine noirci à plaisir, et qu’on a la sensation d’être en dehors du vrai, en contradiction avec la réalité. Certes une haute culture ne met pas les hommes à l’abri de vulgaires défaillances : ç’a été notamment l’erreur du XVIIIe siècle de prétendre que savoir et vertu fussent synonymes. Il arrive que les compagnies savantes aient, elles aussi, leur chapitre dans la chronique scandaleuse. Avouons toutefois que, dans ces milieux consacrés à d’austères travaux, les erreurs de conduite sont plus rares qu’ailleurs : l’étonnement qu’elles provoquent, lorsqu’elles viennent à la connaissance du public, est un hommage rendu à la pureté de mœurs qui est ici la règle. Cela se conçoit aisément. Il plaît aux sceptiques de ne regarder qu’aux pieds de la statue, qui sont d’argile. A les en croire, grands par l’esprit, ou médiocres par l’intelligence, tous les hommes, en tant qu’hommes, se valent. Allons donc ! Quand on a orienté toute sa vie dans le sens du travail et mis toute son ardeur à la conquête des joies intellectuelles, on ne songe guère à la bagatelle : on n’a pas le temps. L’air qu’on respire sur ces hauteurs est vivifiant et pur ; l’esprit s’y libère, autant qu’il est humainement possible, du joug de la matière ; Ariel l’emporte sur Caliban. D’ailleurs, les faits sont là. De grands savans qui ont été les « cerveaux consul-tans » du genre humain, nous en avons connu, Dieu merci ! et leur