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Donc, Rousseau a raison et Donald a raison. Mais chacun a raison latéralement. Celui-là seul est dans le vrai qui affirme bilatéralement et qui assure que l’homme a toujours été bon et mauvais, puisque, s’il ne l’avait pas été en puissance, il ne le serait pas devenu et qui assure que la société ne l’a rendu ni meilleur ni pire, mais a rendu pires ceux qui étaient mauvais et meilleurs ceux qui étaient bons. La société n’a ni créé le bien, ni créé le mal ; elle a étendu le registre du mal et du bien.


Le bon M. Le Play n’est pas un bien grand philosophe ni un bien grand sociologue. En le prenant par ses idées générales on l’amoindrit un peu, parce que ses idées générales, encore que fort intéressantes en ce qu’elles sont, ne sont pas, tout compte fait, ce qu’il a de meilleur. Et il faut bien que je dise à M. de Montesquiou qu’en le prenant par ce côté-là et particulièrement en faisant suivre l’analyse de sa doctrine d’une anthologie des plus grands penseurs du XIXe siècle, il nous a rendu service ; mais non tout à fait à lui. Ce qu’il y a d’excellent dans Le Play, ce sont les cent mille observations de détail sur la vie sociale en Europe, ce sont les mille monographies précieuses du livre incomparable à cet égard : les Ouvriers Européens.

Il n’en reste pas moins que le petit volume de M. de Montesquiou met en bonne lumière quelques considérations de Le Play qui sont intéressantes et qui font réfléchir. Il avait raison souvent. Depuis 1750 environ, la France sème des idées qui, pour la plupart, sont stériles, ou sont à contresens de l’histoire. En beaucoup de cas, elle est bien représentée par la vignette de ses timbres-poste : elle sème contre le vent.


EMILE FAGUET.