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J’insiste beaucoup sur les considérations que j’ai soumises à papa dans mes dernières lettres. Je suis entièrement satisfait de son élection comme président du Comité de défense. Ces comités sont appelés à jouer un rôle plus politique que militaire et on peut y exercer une action utile. Il est tout à fait indispensable de se mettre au-dessus des susceptibilités locales, de donner son concours où il est nécessaire et de le donner franchement. Les demi-mesures, les tergiversations sont moins que jamais de saison.

La résistance de Paris étonne et gêne les Prussiens. Il est incontestable pour moi que le roi de Prusse ne veut signer la paix qu’à Paris. La gloire a tout à fait enivré cet esprit mystique. L’armée et la population sont dans cet état d’exaltation où nous étions nous-mêmes au mois de juillet quand nous chantions le Rhin allemand et criions : A Berlin ! avec cette différence qu’ils ont pris le Rhin français et sont arrêtés aux portes de Paris. Les sentimens que nous avons contre les Prussiens, ils les nourrissent contre nous depuis 1806. Enfin le monde vit de pain, contrairement à la parole de l’Evangile, et la politique chrétienne n’est pas de ce monde…


Tours, 8 octobre 1870.

A sa mère.

Décidément je n’ai plus le temps d’écrire. J’arrive au bureau à 9 heures. J’en sors à minuit, avec trois heures pour les repas. Nous faisons de tout, et surtout du télégraphe en chiffres. Pour le moment, je travaille, entre deux dépêches, à faire une réponse aux circulaires de M. de Bismarck : ce n’est pas aisé et c’est autre chose que de répondre aux lettres et articles de MM. X… etc.

Les nouvelles de Paris sont bonnes. L’armée de la Loire est très sérieuse.

Je réponds maintenant à la hâte à ta lettre politique. De loin comme nous sommes, avec une correspondance toujours en retard et qui se croise continuellement, sans que je sache ce qui se passe là-bas, il est impossible d’avoir une discussion un peu pratique. Il ne faut donc prendre dans mes lettres que les idées générales et ne s’étonner en rien des contradictions qui se rencontreraient pour l’application. Il est sûr que d’ici, au siège du gouvernement, connaissant la vérité, je juge les choses