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les scrupules de mon père ; ils sont, comme toutes ses pensées, la marque d’une délicatesse extrême ; mais sont-ils de saison ? Si on laisse prendre la place, ou si on fait accepter par déférence un candidat d’abord évincé, la situation est changée. Présenté sans l’avoir voulu, ayant la main forcée, modeste et désintéressé comme il l’est, mon père remplirait le rôle le plus utile. Rends-toi compte que partout les mêmes scrupules arrêtent les gens délicats.

Il faut lutter partout. L’Etat se compose de départemens, de cantons, de communes, de familles. C’est de ce dernier foyer que part toute moralité, toute énergie, toute réforme. Mais, au nom du ciel, qu’on ne dise plus : que les autres s’arrangent ! Les autres, c’est chacun de nous. Le voisin raisonne comme nous, et il n’y a que les coquins qui profitent du gâchis. Il faut que les libéraux éprouvés, que les honnêtes gens se jettent dans la mêlée municipale jusqu’à celle de la Constituante. Le temps des hésitations, des dégoûts, des découragemens est passé.

Ah ! ces crises soulèvent bien des lâchetés et bien des sottises ! Bah ! on n’en devient que plus ferme dans ses principes et plus résolu dans sa conduite. Dieu merci, le travail ne me manque pas et je me sens l’esprit calme et l’intelligence nette. Tu n’as rien à craindre pour ma vie ; ne crains pas, de ma part, de démonstrations imprudentes. Mais, avec calme et discrétion, je vais droit où ma conscience me dit d’aller, et si je ne me compromets en rien, je ne cherche pas non plus à ménager les chèvres et les choux. Il faut savoir ce qu’on veut, et l’on ne doit vouloir qu’une chose : travailler à sauver le pays : chacun peut y contribuer, il n’y a pas d’effort inutile.


26 septembre 1870.

A sa mère.

Avant ma dernière lettre qui parlait des élections, tu as dû apprendre qu’elles étaient ajournées. Les élections municipales n’avaient d’autre raison d’être que les élections à la Constituante, et celles-ci deviennent inutiles, puisque la Prusse ne veut traiter qu’en nous écrasant. Il vaut mieux que toutes ces élections soient ajournées. La proclamation du gouvernement a produit un immense effet : il commence à se manifester un véritable élan d’indignation.