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côté du Havre. Rouen d’ailleurs serait occupé bien avant Moniteur et vous auriez le temps de vous mettre à l’abri.


Tours, 21 septembre.

A sa mère.

On dit que les Prussiens marchent sur Orléans : il est donc probable que nous ne resterons pas longtemps ici. Me sachant en sûreté, tu ne devras t’inquiéter d’aucune interruption de correspondance. Il n’en sera pas de même de moi, et j’avoue que j’appréhende horriblement le silence.

Je suis extrêmement occupé, mais j’en suis heureux. Ce que je fais est fort intéressant et il est nécessaire en ces temps-ci de se soustraire à ses pensées.

La conduite loyale du Ministère doit lui gagner les sympathies. Je crois qu’il faut le soutenir énergiquement dans la lutte électorale, d’autant plus qu’il n’y interviendra en aucune façon.

Un de mes amis qui a voulu rentrer dans Paris samedi a été fait prisonnier.


Tours, 24 septembre 1870.

A sa mère.

Je le remercie bien des détails que tu me donnes ; ils sont lus avec le plus vif intérêt. Je ne puis trop vous encourager dans les sentimens où je vous vois. Je regrette de ne pouvoir l’envoyer aucune nouvelle. Je vais recommander votre abonnement au Moniteur. Dalloz est ici avec son personnel, et je suis en bonnes relations avec lui. Le Temps est resté à Paris.

Je vois avec plaisir que vous êtes résolus et calmes. Je ne puis trop vous fortifier dans ces dispositions. Il est impossible, évidemment, de combattre les paniques qui s’emparent de la foule, mais il faut lâcher au moins de ne pas se laisser gagner. C’est ainsi que, jusqu’à nouvel ordre, je reléguerai dans le domaine des canards l’histoire des espions désignant les maisons des receveurs et des notaires. Il faut dire la vérité sur ce point. Les Français ont une manière commode d’expliquer leurs surprises et d’excuser leurs défaillances : les espions expliquent les surprises, la trahison excuse les défaillances. Il n’y a pas eu de trahison ; il y a eu infiniment moins d’espions