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vents, feu, que voulez-vous de moi ?… Venez-vous reprendre la portion que vous m’avez prêtée ? Ah ! j’attends avec impatience, arrivez !… arrivez !… Qu’il me charge, qu’il me gêne ce don fatal que vous m’avez fait ! Combien est lourd le fardeau dont vous m’avez donné le poids !… Arrivez !… arrivez !… Reprenez vos dépouilles ! Mer, ouvre-moi tes abîmes ; tu ne peux éteindre en moi la flamme éternelle qui anime ma vie ; tu ne peux rien sur mon amour !… Un Dieu, un Dieu seul a allumé son flambeau sacré ; ce Dieu est le tien : tu es sa créature comme moi ; je ne te crains pas ! mène-moi à lui !… »

On voit toutes les analogies de mouvemens, d’images et d’inspiration. Et pourtant, je ne crois pas qu’Aimée de Coigny ait connu les Natchez, que Chateaubriand n’avait peut-être pas encore retrouvés, quand elle composait son roman, et qui, en tout cas, n’ont paru en librairie que longtemps après, en 1827. La rencontre est d’autant plus curieuse, et prouve simplement que ces idées, ces sentimens exaltés, ces déclamations étaient dans l’air de l’époque. Mais l’auteur d’Alvare, si elle a ignoré les Natchez a certainement lu René, et l’on a reconnu au passage une évidente réminiscence de l’apostrophe célèbre : « Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! » De même, il me semble bien que tel joli paysage lunaire est inspiré de très près d’une célèbre « nuit » de Chateaubriand, celle qu’il a transportée, en la retouchant à plusieurs reprises, de l’Essai sur les Révolutions dans le Génie du Christianisme : « La lune, à moitié cachée par des nuages argentés, jetait une clarté douteuse sur tous les objets. L’ombre des arbres prolongés offrait mille formes bizarres et effrayantes ; le calme, le silence de la nature n’étaient interrompus que par le bruit léger des feuilles qu’un vent doux en s’élevant par intervalle faisait mouvoir ; tout portait à la mélancolie et à une secrète terreur. » Nous pouvons l’affirmer avec certitude : si Chateaubriand n’avait pas écrit, le roman de la Jeune Captive ne serait pas, littérairement, tout ce qu’il est.


Quand on se trouve en présence d’un roman, d’un roman de femme surtout, il y a une question, d’ordre non plus littéraire, mais psychologique, qu’il est bien difficile d’éluder : Qu’est-ce que l’auteur a, plus ou moins volontairement ou consciemment,